Hassan Makaremi

Psychanalyste Chercheur Artiste

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Nature / contre-nature, la sagesse a-t-elle son rôle à jouer ?

Est-ce la sagesse collective ou la sagesse individuelle, qui permet la définition d’un périmètre nature/ contre-nature?

Entre le 30 juin 2012 et le 30 juin 2013, un groupe de travail composé de Anne-Gaëlle Burban, Hassan Makaremi, Emmanuelle Bour-Poitrinal, Isabelle Prudhomme, Yoann Murguet et Esfandiar Attaran, s'est donné pour objet d'entrer dans la problématique nature/contre nature, via la production de plusieurs textes.

Ainsi sans qu'il n'y ait d'enchaînement logique apparent et flirtant plutôt avec la spontanéité de l'association libre, émerge de ce corpus une étude aléatoire, mais non moins profonde.

Ce florilège, à l’instar d’un journal de bord, est un essai collectif qui tente de cerner les enjeux sous-tendus par la dialectique nature / contre-nature susceptible d'intéresser aussi bien les psychanalystes, les anthropologues, les plasticiens, les poètes, les psychologues, les architectes, les ingénieurs, et autres curieux de l'histoire de l'humain.

Quelque chose de la mort n'appartient qu'à l'homme

Yoann MURGUET

Aborder la problématique de nature / contre-nature d’un point de vue psychanalytique, oblige à quelques détours utiles vers des notions universelles. Connues pour leurs apparentes simplicités, les notions de vivant, de nature, de naturel, de vie, d’âme… jetteront les bases de notre réflexion. Nous verrons que la problématique de nature / contre-nature, n’intéresse que l’homme, recouvrant les notions d’humanité et de sujet. Nous verrons aussi après l’avoir isolé, le rôle du langage humain autour de notre questionnement.

Le vivant est-il en mouvement ? Peut-on dire de lui qu’il est immuable, transgressif, régi par des lois ? Le monde du vivant est-il un ou multiple ? Quel but a la Vie ? Les connaissances actuelles sous l’égide de la biologie et de la génétique, nous enseignent qu’un monde invisible nous gouverne. De la définition du vivant sous la loupe des savants, il en ressort d’être supporté par des organismes organisés, programmés, unis ou pluri cellulaires dotés d’une capacité de reproduction, dont le but semble être essentiellement la continuité de la vie de la cellule ou de l’organisme auquel elle participe. La reproduction de la vie est elle l’identique à son parent ? Il semblerait que non. Cette continuité de la vie se fait par modification de l’expression génétique. La cellule doit beaucoup à sa formidable adaptabilité à l’environnement. L’encodage programmatique serait immuable mais ses variations d’expression encore méconnue semblent infinies. On reste pour le moment sans réelle compréhension de ce phénomène mais l’observation nous a montré l’existence d’une dialectique entre la génétique et l’espace temps propre à l’organisme. On parle alors d’une capacité à l’auto modification.

On dit du naturel qu’il va de soi, on entend par-là qu’il est la marque d’un respect scrupuleux à l’ordonnancement d’un système. De cet état naturel propre à un système, on peut prédire ce qu’il en est et ce qu’il en sera. La faculté de s’écarter du naturel est nulle si le système est par nature incapable de s’extraire de quelque manière que ce soit de la poussée qui le gouverne, s’il n’est pas doté d’un pouvoir de maîtrise, de conscientisation, d’élaborations conceptuelles mutualisée (savoir) ou d’une tendance à l’auto modification. Sans aucun de ces attributs l’organisme vivant est voué à la disparition. Quelle que soit sa nature, il est souvent inintelligible : la marque du réel. Souvent la connaissance de la nature d’une chose se réduit à l’acte de prédiction d’un événement. Gardons en tête simplement que la prédiction n’équivaut pas à la connaissance tout entière, elle n’est qu’un cas particulier de celle ci. Cette restriction abusive de la connaissance prédictive fait empire dans le monde scientifique contemporain : le positivisme logique. Cela devra évoluer quelque peu à n’en pas douter. Le naturel n’est qu’un état de perfection qualitatif du fonctionnement intrinsèque de la Nature d’un objet.

Mais le vivant a plusieurs échelles d’études, il nous est impossible de le réduire et chacune d’elle permet d’en appréhender un versant. Que les études actuelles offrent la primauté à l’infiniment petit ou à l’infiniment grand pour aborder les problématiques aux contours du réel ne constitue pas la preuve que le paradigme positiviste soit le bon. L’étude des couches superficielles n’a pas le même impact et le dépassement de l’épistémologie classique est nécessaire pour aller plus avant dans notre problématique. Cette question du vivant a depuis longtemps été abordée par l’homme, sous des aspects moins restrictifs et plus réflexifs. Par exemple, chez Aristote, la vie est antérieure et en devenir par nature. Ce retour vers ce type de réflexion semble dépasser ici en complexité les conclusions issues des sciences biologiques. Le vivant se distingue du non vivant par sa qualité d’être animé : Est vivant ce qui est animé et par conséquent est non vivant ce qui ne l’est pas. Cette définition chez Aristote se lie étroitement à celle de l’âme : L'âme est l'acte premier d'un corps organisé. La notion d’âme chez Aristote n’appartient qu’au vivant, elle est souffle et structurante, on la retrouve dans les règnes végétal, animal et humain, elle peut être végétative et/ou sensitive et/ou motrice et/ou intellective.

L’âme végétative ne vise que la production d’elle-même et sa reproduction entendue comme perpétuation de l’espèce. L’âme sensitive permet d’avoir un ressenti des stimuli extérieurs. L’âme motrice permet à certains corps de se mouvoir. L’âme intellective intéresse le genre humain et dépasse par sa complexité les autres typologies.

On peut en conclure chez Aristote, de toutes les âmes, quelles qu’elles soient, qu’elles sont animées par une poussée de réalisation d’inégale valeur, optimisée selon l’appartenance au genre du corps dont elles ont possession.

Chez l’animal et le végétal, la faculté de perforer la gangue structurelle qui l’anime est impossible sauf à être l’objet de contraintes extérieures. S’entend ici, des modifications dues à des changements majeurs de l’environnement. Elles peuvent être physiques, chimiques, conséquences d’une mutation environnementale. Dans son acceptation générale, il conviendra de considérer ces âmes comme totalement naturelles.

Le cas de l’homme est tout autre selon Aristote. Son âme appartient aux 4 types, le dernier n’étant propre qu’à lui. Les trois premiers le hissent au même rang que les autres alors que le quatrième le singularise à l’extrême. C’est cette singularité qui intéresse notre réflexion. L’homme est doté d’une intelligence, d’un langage complexe, d’un imaginaire, d’une capacité de croire, auxquels on peut ajouter une structuration psychique propre. Là réside son potentiel à s’écarter de l’ordre naturel, une possible atteinte à sa survie.

L’homme possède donc un langage, support symbolique tangible pouvant rendre compte des autres caractéristiques propres à son espèce. Nous savons de ce langage, qu’il est une somme de signe ayant plusieurs supports ( écrit, verbale, gestuel, olfactif, artistique, etc..) , il sert à l’expression et la communication de ces pensées avec les autres membres de son espèce. Ce langage entre en partage par la soumission à des règles communes (syntaxes) et la volonté de transmettre du sens (sémantique). Ce langage, l’homme semble l’emprunter au pot commun, bien qu’individuellement, il tisse des liens privilégiés avec certains mots (signifiant maître) comme autant d’ancrage du sujet le définissant face à la complexité du monde.

Les mots sont pour lui vecteur de sens, il entre de la sorte en dialectique avec son environnement. Ses productions individuelles ou collectives impactent et rivalisent avec la nature ; il ne s’en inspire pas seulement, il la modifie. Nous parlerons d’artéfact pour distinguer ce qui est produit au-delà de son corps, par le canal du langage reflet de l’activité de son intelligence et de sa sensibilité, et de psychosomatie comme effet d’une structure de langage liée à sa vie psychique sur le corps.

L’articulation de cette dernière notion au langage, souligne la présence d’une autre instance langagière : L’ Autre comme le secret des signifiants chez Lacan.

Pour étudier l’espèce humaine dans ses rapports à la problématique de nature / contre nature, nous devons envisager ce qui, des vestiges de son passé et des produits issus de sa dynamique contemporaine, entrent en partage. S’il y a une tendance à la contre nature, nous devrions pouvoir mettre en évidence, à travers les deux phénomènes, l’artéfact et la psychosomatie, une tendance à l’anéantissement du groupe et du sujet.

Il ne s’agit pas ici de plaider de la moralité de tel ou tel acte mais simplement de mettre en lumière les éléments qui du groupe humain ou de l’individu le conduise à sa perte, à son délitement. Partons du postulat suivant : Ce qui est contre nature est ce qui nuit à la poursuite de la vie.

La notion d’artéfact sera abordée succinctement d’introduire une réflexion à venir. La notion de la psychosomatie sera quant à elle développée dans un autre article.

Exemples d’artéfacts :

-Artéfact positif scientifiques :

Au-delà de la symbolisation, le réel campe. L’irrésistible besoin de comprendre prendrait naissance à ses abords. L’aventure humaine ne nous enseigne t ‘elle pas à combler le vide de la connaissance et soigner la plaie du narcissisme blessé de l’humanité?

Le temps où émerge le génie, ne peut être que le moment précurseur et transformateur d’une vision ancienne du monde vers une nouvelle plus féconde et garante d’un dépassement civilisationnel. Ne dit-on pas des scientifiques qu’ils ne découvrent que ce qui « est », qu’ils n’inventent pas. Mais s’ils n’inventent pas, nous peuvons reconnaître au génie, la faculté tout au moins de poser les jalons d’ une voie nouvelle sur la base des concepts existants. Ainsi Nous dépassons de temps en temps les acquis civilisationnels. Le concept d’émergence vient étayer cette idée, elle postule au départ que le monde est constitué par des degrés d'organisation/intégration. Leur nombre n'est pas prédéfini, on suppose donc N niveaux d'organisation dans le monde. Pour comprendre l'émergence, il suffit d'admettre que le niveau N+1 est constitué par les éléments du niveau N, lorsqu'ils s'organisent ensemble. Il suffit que les ensembles constitués par cette organisation de complexité supérieure soient stables et qu'ils aient des propriétés propres (différentes de leurs composants de type N).

Artéfact politique 1 :

Scabreuse, simpliste et radicale, la guerre participe, dans une certaine mesure et sans masquer son caractère morbide, à une redistribution, « une nouvelle donne ». Le recours à la guerre n’engage pas nécessairement un changement de paradigme.

La guerre permet la reprise du paradigme dominant débarrassé des interrogations autour de sa légitimité.

Artéfact politique 2 :

Le conservatisme, défini comme un attachement aux valeurs actuelles, ne supporte pas l’émergence du nouveau. Cependant les sociétés se réclamant ou se rapprochant de ce modèle idéologique, produisent au cours du temps une forme d’évolution et se réclament du progressisme. Pour autant, il ne s’agit pas ici du progrès dont a tant besoin l’humanité mais d’une sorte de complexification des ramifications opérant sur la base des connaissances en vigueur. Chaque valeur produit des caricatures d’elle-même allant jusqu’à confiner au fascisme.

La pulsion de mort nous vient en aide pour définir le concept de nature / contre nature. Ici, elle donne un sens et un éclairage nouveau à l’évolution de la vie et à ces périls (au delà du principe de plaisir).

Tant que les signifiants existent, tant qu’ils s’accumulent près du socle commun d’une civilisation, il y a de la vie. L’arrêt, ou ce qui peut freiner l’émergence de nouveaux signifiants, sont autant de signaux d’un danger imminent, d’une hypothétique mort. Le processus de symbolisation ne peut être considéré comme fini. Il est l’empreinte de la vie, la marque de la continuité du genre humain, le récit de son savoir, de son histoire, de ses mouvements. Comment pourrions-nous qualifier sa trajectoire, ses déplacements dans le temps et l’espace? Quel devenir peut on lui supposer ? La question reste ouverte.

Une symbolique vouée à un constant renouvellement de ces termes par le principe d’exploration et de dépassement de ces acquis, semble le mouvement principal qui la caractérise. Cependant on peut voir apparaître parfois des pans entiers d’un monde symbolique nouveau, Ils portent en germe la puissance du vivant, le renouvellement de tous les termes, et participe dés lors à l’architecture du nouveau socle commun, ils deviennent des signifiants maîtres pour un temps. Parfois, le mouvement constant qui l’anime, ne trouve d’autre issue que la dégradation des ces termes originaires. On voit apparaître, alors, dans les mondes déjà définis une myriade de compositions, toutes aussi surprenantes, que s’il s’agissait de nouveautés à part entière. Le leurre est bon, il se substitue aisément à ce besoin de renouvellement qu’exige la vie. A l’œuvre dans ce cas, une action contraire, une pulsion morbide qui se substitue par le jeu de l’illusion à la tendance au mouvement perpétuel et régénérateur. En ajoutant à l’ancienne matrice une nouvelle complexité, la pulsion de mort entretient l’illusion d’un mouvement progressiste et porte l’annulation de l’énergie vitale. Le mouvement n’est plus alimenté par du nouveau mais ne doit son déplacement qu’à son élan, jusqu’à l’arrêt complet. C’est bien cette force d’inertie qui produit l’illusion du mouvement perpétuel et de la grande marche du progrès. Son arrêt, si on peut parler d’arrêt, semble se faire aux dépens des sources de vie.

Le désir d’évolution n’est cependant pas un désir commun à tous les hommes ; on retrouve encore dans les tribus les plus primitives, encore intacte, une absence profonde et assumée de ce désir. L’évolution produit la mort de cet état d'inertie.

Il semble que le progrès tend à écarter et dissoudre les autres modes de vie que l’homme a su développer tout au long de son existence. Le progrès tend à s’imposer comme l’unique moyen de vie sur terre pour notre espèce, l’homme sera t-il en mesure de dompter les dangers auxquels le confronte cette soif de changement ? Quelles qualités lui faut il développer pour prendre en main sa destinée sans qu’il en pâtisse.

LIEN :

QUE NOUS ENSEIGNE L'ETUDE DES LIMITES ?

" Où s'arrête la Limite ?"

Hassan MAKAREMI

La question de la limite, de la frontière, du voisinage, du hors de portée, de l'au-delà... du point de vue psychanalytique, peut être expliquée via les cinq éléments clés : la vie, la mort, le Signifiant, le signifié et le Phallus.Ensuite, la limite de notre expérience : le réel, nous interpellera. " En effet, nous n'avons pas à nous en étonner, le réel est à la limite de notre expérience.", dit J. Lacan, dans le séminaire IV page 31.Partons à la recherche des limites, dans différents champs de nos connaissances et de nos savoirs à ce jour, en quête des signifiants " limite" dans la profondeur du temps, de l'espace, de l'univers, de la vie, de l'Homme, du sujet parlant, du corps, de la psyché, du possible..

Partir sur des relations entre le signifiant, le signifié, la vie, la mort, et le rôle du phallus pour comprendre les champs de chacun et leurs interférences. Comment, à partir de cette limite, " la mort ", le support du signifiant peut-il exister? Finalement nous ne pouvons pas échapper à cette question :" Hors de la "limite du signifiant", l'identification d'une autre "limite" est-elle possible?"

Jacques Lacan, au sujet de S. Freud, nous précise, je cite le séminaire IV page 48: "C'est très certainement ce que Freud nous a apporté sous le terme d'instinct de mort. Il s'agit de cette limite du signifié qui n'est jamais atteinte par aucun être vivant, ou même, qui n'est jamais atteinte du tout, sauf cas exceptionnel, probablement mythique.…". Commentons cette phrase et d'abord que veut dire le signifiant? Une image acoustique, l'origine du langage, ce qui fait que le refoulement originel peut exister.

J. Lacan, dans Ecrits, page 575 : " La chaîne signifiante aété inaugurée par la symbolisation primordiale."

S. Freud espère trouver ce qui est psychiquement inné via la procédure analytique, via la sortie des signifiants ; je cite Freud dans l’interprétation des rêves : " Nous pouvons espérer parvenir, par l'analyse des rêves, à connaître l'héritage archaïque de l'homme, à découvrir ce qui est psychiquement inné…...". L'analyse des rêves en écoutant le discours du sujet : voilà, d'après Freud, l'outil de fouille archéologique pour aller jusqu'au plus profond de l'humanité, aller où il n’existe aucun autre outil que la dimension symbolique : les signifiants nous le permettent. Au-delà des signifiants, il y a des lettres, des chiffres, des symboles purs qui seront le sujet d'une autre recherche, comme l'importance des lettres dans le rêve d'Irma de Freud ou l'utilisation des lettres ou des chiffres symboliques dans les textes sacrés.

La relation entre le signifié et le Signifiant a été présentée par J. Lacan comme S/s. On dit que pour un signifiant S, il y a plusieurs signifiés chez des sujets différents ainsi que pour le même sujet à différents moments. Mais il n'y a qu'un signifiant qui peut avoir le même signifié pour tous et à tout moment : la mort comme non retour, la mort définitive, il n'y a pas d'autre interprétation possible.J. Lacan, séminaire IV, page 48 nous précise: " Ce qui au fond de l'existence du signifiant, de sa présence dans le monde, nous allons le mettre là dans notre schéma, comme une surface efficace du signifiant où celui-ci reflète, en quelque sorte, ce que l'on peut appeler le dernier mot de signifié, c'est à dire de la vie, du vécu, du flux des émotions, du flux libidinal. C'est la mort, en tant qu'elle est le support, la base, l'opération du Saint-Esprit par laquelle le signifiant existe."

Où s'arrête le signifié? Comme précise J. Lacan : "cette limite du signifié qui n'est jamais atteinte par aucun être vivant ou même, qui n'est jamais atteinte du tout, sauf cas exceptionnel, probablement mythique...» Sachant que pour certaines expériences dans ce monde, les mots manquent. "Le rapport sexuel est impossible", ou, sa mise en signifiant est impossible, comme la jouissance de l'autre. Je reviens vers Lacan et les cas d’exceptions: " cette limite du signifié qui n'est jamais atteinte par aucun être vivant ou même, qui n'est jamais atteinte du tout, sauf cas exceptionnel, probablement mythique ". On peut d'ores et déjà parler des différentes catégories d'expériences : les mystiques, les sujets ayant vécus l'expérience de mort imminente EMI / NDE, les prophètes, les sujets ayant des hallucinations (illusion, hallucination, état fiévreux), les sujets drogués, les sportifs de haut niveau, les revenants d'un état comateux, certains cas d'hypnose, d'état second. Ils disent tous qu'ils ne sont pas capables de bien expliquer leur expérience par les mots, ce qui rend l'accueil de leur parole et éventuellement l'interprétation de celle-ci très difficile.

Le point commun des Prophètes, des mystiques et des psychotiques est que le lien entre le signifiant et le signifié est rompu. Pour le psychotique, la chaîne du parler se présente sans limite et sans vectorisation. La psychose fait perdre le lien entre la cause et l'effet, les signifiants se coupent de la réalité. Quelle est la limite entre délire et non délire ? Le délire du névrosé, qui sait qu'il délire car le découpage signifiant- signifié est toujours là, d'une part, et le délire du psychotique et les discours des mystiques et prophètes qui n'ont pas de doute car le Signifiant est devenu réel, d'autre part. Ainsi les deux témoignages, dans la Bible: "Au commencement était le Verbe" et dans le Coran: " Soit et il devient".

La métaphysique rend la mort flottante, non certaine, la fait reculer, la fait inventer. Elle fait inventer les concepts comme la vie après la mort, l'âme, l'esprit, la réincarnation. Pendant la période de l'adolescence, l'hésitation sur les questions fondamentales, sur la vie, sur la mort, d'où je viens, à quoi ça sert…, l'effet de la recherche d'identité, relèvent d'une part de cette relation du lien entre des signifiés, des concepts et d'autre part de l'identification, de l'effet du signifiant ou du? nom du père.

Quelques mots sur la formation de l'inconscient et sur le rôle du Phallus.

Castration: Découverte de la limite

Frustration Privation

Privation : découverte des champs du manque

Frustration : découverte des champs de l'existence

J. Lacan précise: " le phallus est le symbole d'un objet imaginaire".

La Castration : manque symbolique d'un objet imaginaire ( ex: manque symbolique du phallus comme d'un objet imaginaire) selon J. Lacan: "la castration est la soumission du sujet au signifiant." Pour le nommer, donner un signifiant, mettre en évidence la vie. (?)

La Frustration : manque imaginaire d'un objet réel (ex. : j'ai l'impression que je manquerai d'oxygène…).

La Privation : manque réel d'un objet symbolique (ex. : être privé du tissu de la robe de la mère).

Le phallus, cette différence qui fait la différence :

Phallus

Mère Enfant

Le Phallus est donc le signifiant qui n'a pas de signifié.

Notre expérience et sa limite : le Réel, quelques exemples.

1 - Malgré la définition claire de la structure - névrose, perversion et psychose, nous trouvons l'état limite,... : situation limite, patient limite, limite d'analysable, limite entre des structures, limite entre pathologie et non-pathologie, à tel point que dans SDM IV, l'association des psychiatres américains ne donne pas un nom pathologique précis, mais propose ? un lien entre les traitement et les symptômes.

2 - Pour l'Homme, lequel de ces signifiants est le plus juste? Individu, sujet de désir, personne, citoyen, moi, prénom + nom ou nom de famille, conscience de soi, être social ou d'après S. Freud, être de frontière. Quelle limite peut-on lui donner pour le designer ?

3 - Réalité interne et réalité externe : frontière du corps.

Inconscient

Corps

Conscient

Préconscient image inconsciente du corps

J. Lacan :" Le corps fait le lit de l'Autre par l'opération du signifiant".

L'Inconscient est structuré comme un langage. Cette structure définit la typologie de l'organisation fondamentale des signifiants. La formation de l'inconscient pendant la vie d'un sujet, comme un système qui fonctionne avec les signifiants, lie l'inconscient avec deux éléments de base à l'extérieur : le corps et le conscient. L'inconscient est structuré comme un langage et "A" est le trésor des signifiants, car s'il était structuré sur les signifiés, il variait pendant la vie d'un sujet ; la base le plus solide est le nom du père, un signifiant non changeant, qui fonde l'identité du sujet.

4 - La vitesse de la lumière : la limite admise des sciences (physiques) est la vitesse de la lumière, momentanément acceptée comme la base de calculs, des théories, des hypothèses, ainsi que de nos imaginations. A ma connaissance, il n'y a aucun scénario, ni film, ni production artistique, qui développe le moment de la traversée de cette limite de la lumière, mais il y a des exemples pour illustrer le moment d'arrivée à cet au-delà de la vitesse de la lumière. On imagine l'avant, l'après, mais pas le pendant.

5 - Quelques exemples de l'effet de frontière et de la limite dans le champ social :

5.1 - Le clonage comme la limite de l'individu. C'est la première fois que cette

deux personnes physiques sont le même individu avec la même définition de lien entre les générations. Autrement dit, le clonage casse la limite de l'autre, la chaîne de générations, père - enfant, frère et sœur, la question du vivant et de la mort, nom du père, et la place dans l'espace - temps.

Le clonage est au bout d'une chaîne des tabous dans notre histoire : toucher le corps de l'autre par un autre qu'un membre de la famille, le voir nu, l'autopsier, greffer des organes, écouter l'intimité, les autres, et leurs rêves, greffer un organe issu d'un clone et finalement cloner l'être humain. Le problème de base n'est pas chaque nouvelle étape, mais de savoir pour quelle raison, pour quelle utilité, quel objectif. La question de base est comment arrêter la procédure? Comment modifier le tir? Jusqu'à maintenant, nos expériences individuelles pour aller au seuil de nos limites étaient des seuils individuels, limites de l'être humain : des exemples dans le cirque, l'expérience limite de la solitude, les jeux olympiques, les voyages dans l'espace. Ces expériences étaient bien vues par nous, mais le clonage est une affaire collective.

5.2- Chosification de la mort : sans entrer dans le détail, je vous fais remarquer que, au retour de l’expérience des camps de concentrations, le discours, la mise en parole, deviennent impossible pour les sujets.

5.3- Les experts juridiques, dans leurs rapports utilisent moins de cent signifiants bien identifiés, à la limite des mathématiques ; plus le jugement se rapproche des cas graves, plus les signifiants deviennent précis.

5.4 - Phénomène de lutte contre la frontière : médecins du monde, médecins sans frontière. D'une part, la globalisation, d'autre part, l'absence de frontière, deux camps qui se battent. Pourtant tous deux parlent de suppression des frontières.

5.5 Limites de l'Europe : je cite Le monde du 5 janvier (ANNEE ), Casanova, au sujet de l'Europe et de la Turquie: "… on voit bien là pourquoi la question des limites mène à celle de le nature de l'Europe…".

5.6 Argent : un signifiant bien quantifié, qui dit toujours la même chose, peut devenir le Dieu de la mondialisation d'un côté et la vie sans frontière de l'autre. Hélas le choix de l'argent est plus simple. Exemple : le Dollar et l'Euro à la place d’un projet social commun. Car comme nous dit Tolstoï en préface de son livre Guerre et Paix, je cite de mémoire: « Je me demande pourquoi les méchants se réunissent plus facilement que les bons ». L'argent est plus palpable, plus concret que la vie : contraire de la mort.

6- Limite et mathématique:

A I I I I B

1/2+1/4+1/8+1/16….= a

1/2+1/2*(1/2+1/4+1/8+1/16….)=a

1/2+1/2*a=a a =1

Pour définir la limite, la théorie mathématique utilise l'infini, un symbole, un signifiant avec autant de signifiés que d'êtres humains.

III - La limite est finalement la limite du signifiant. Prenons un exemple : deux sujets se parlent, la discussion porte sur le sujet "qu’est- ce que l'univers?". Ils ont cent signifiants communs. Leur possibilité de se comprendre et de passer le message est très limitée. Le même cas avec 10000 signifiants communs, donne un autre champ de vision et de compréhension. La quantité de signifiants communs, est le seul élément mesurable des limites. On élargit ce raisonnement, en passant à plusieurs êtres parlants et même à 6 milliards et on ajoute le concept du temps : l'ensemble des signifiants produits et diffusés et compris, alors nous pouvons imaginer le volume du champ large de la limite dans l'avenir. D'une part, le nombre des êtres vivants parlants augmente, leurs communications également ; ils apprennent à parler des langues différentes, ils partagent de plus en plus de signifiants, d'autre part, les signifiants anciens, sont redécouverts par des recherches. Les champs de recherche échangent entre eux davantage de signifiants, les volumes de signifiants en circulation via la technologie moderne (internet) augmentent. C’est le sens définissable du progrès, de l'évolution de l'avancement : élargir la frontière des signifiants, repousser la mort. Une guerre entre la mort et la vie, la vie, la quantité de signifiants.

Total de signifiants

1- Trouvaille des signifiants perdus

2- 7 MM êtres humains vivants aujourd’hui, total 13 MM

3- Augmentation des échanges entre des langues

4- Augmentation de la vitesse de transmission

5- Mémoires écrits permet de conserver davantage des signifiants

6- Signifiants inventés SNCF, RATP, NATO

7- Champs scientifiques, techniques… 4 mots pour un nom d'insecte par exemple ...

Temps

La sagesse sublime.

Anne-Gaëlle Burban, novembre 2012

Partons de l’idée que la sagesse individuelle se construit avec et contre la sagesse collective transmise depuis que l’être humain est capable d’émettre et de recevoir des symbolisations. D’une certaine manière le langage est perçu alors comme vecteur de cette sagesse ancestrale et permet de juguler certains passages à l’acte qui se verront plutôt sublimés par la symbolisation. Cette symbolisation a pour fonction de présentifier pour le plus grand nombre des perceptions émotives intimes. Le périmètre ou plutôt la lisière nature/contre-nature se trouverait donc dessiné par les mots, la musique, l’art, la poésie, la danse, les mathématiques et la production plus personnelle de symptômes, fantasmes…

Avant d’aller plus loin, il me semble important de tenter de définir certains termes clefs de cette problématique. Dans un premier temps, nous nous demanderons qu’est-ce que la sagesse ? Est-ce l’homme sublimé ? Comment dialogue-t-il avec les instances idéales (idéal du moi et moi idéal) ? Quelles-sont les interactions entre l’intime et le public, l’individuel et le collectif ?

Nous verrons également en quoi le langage et l’inconscient occupent un rôle primordial dans l’individuation du sujet au sein d’une société donnée.

Enfin, nous pourrons établir et analyser les impacts de ce qui du point de vue de la psychanalyse est de l’ordre de la nature et ce qui relève de la contre-nature chez l’Homme.

Le concept de sublimation provient en fait de la sexualité : il répond à la nécessité d'expliquer que des contenus manifestes non sexuels (par exemple des œuvres scientifiques ou artistiques) ont pourtant leur source dans la sexualité inconsciente et tirent leur force d'expression de la libido.

Qu’est-ce qui est sublimé ? L’agressivité, la sexualité primitive, les désirs refoulés, c'est-à-dire tout ce qui compose l’inconscient et nourrit ses manifestations.

Voici la définition de la sublimation que donne le Dictionnaire de la psychanalyse et de la micropsychanalyse : « une pulsion sexuelle ou agressive, inhibée quant au but, voit son objet-but désexualisé ou désagressivé et valorisé socialement, en particulier culturellement. » (Fanti, 1983, p. 107). On comprend ainsi que la sublimation se fonde sur une élaboration secondaire complexe. Elle résulte d'un travail qui se déroule essentiellement au niveau préconscient. Les nécessaires transformations que subit le potentiel agressif inconscient pour permettre la dimension sociale de l'individu mettent en valeur le rôle de régulateur du préconscient. Concrètement, la sublimation est un processus transformant quelque chose qui est bien caractérisé au niveau inconscient — quelque chose qui est typique de l'agressivité ou de la sexualité — en quelque chose qui ne l'est plus au niveau manifeste.

Cette localisation de la dynamique de la sublimation au niveau du préconscient permet d'ores et déjà d’avancer l’hypothèse que chaque sujet porte en lui une parcelle de sagesse collective lui permettant de transformer ses pulsions agressives inconscientes en productions symboliques sociales.

Mais comment se forme cette barrière préconsciente ? L’individu dans l’histoire de sa structuration psychique a-t’il une responsabilité, un pouvoir ou tout simplement peut-il jouer un rôle actif ? Ou au contraire, est-ce que tout est hérité de la culture héréditaire par le langage ? Quel est la marge de manœuvre de chacun pour jouer avec ses déterminismes sociaux ? Autrement dit, tout est-il joué avant 5 ans ou peut-on espérer continuer d’évoluer après ? Quid des grands, moyens et petits délinquants, meurtriers et autres acteurs du passage à l’acte ? D’ailleurs ne sommes-nous pas tous des petits délinquants lorsque plus ou moins consciemment nous continuons de consommer sans recycler, lorsque nous roulons sans nous pré-occuper de notre empreinte écologique… ? Leur sort, notre sort est-il noué à jamais ?

Que peut faire la culture, la sagesse commune et la citoyenneté ou encore la psychanalyse pour nous aider à développer notre capacité de sublimation ?

Freud dans son ouvrage Malaise dans la culture paru en 1930 affirme notamment que selon lui :

la culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel, car la vie en commun suppose une restriction de la liberté individuelle ou le conformisme;

le respect des exigences sociales est assuré par le père puis par le « surmoi » (père intériorisé, faculté à s'auto contraindre, conscience morale) ; la tension entre le « ça » (principe de plaisir) et le « moi » (principe de réalité), entre l'égoïsme (amour de soi) et l'altruisme (amour d'autrui), est source du sentiment de culpabilité et de la conscience morale ; ces exigences sociales se manifestent dans la morale et dans la religion y compris dans la beauté, la propreté et l'ordre : ces discours tentent de légitimer et d'assurer le renoncement au plaisir égoïste.

Partisans de l’intelligence créative, faisons le pari que la sublimation peut s’apprendre, se sculpter et même parfois nous guérir en nous libérant de schémas répétitifs (créaticides) en dévoilant les causes inconscientes de l’agressivité humaine. Comparable à une excitation négative et destructrice, cette pulsion de Thanatos est commune, et se construit pour chacun sur des vécus mémorisés et intériorisés depuis la plus tendre enfance, qu’il s’agit d’exprimer pour s’en délivrer (ou du moins en neutraliser la puissance destructrice). Tous les vécus ne sont évidemment pas mémorisés. Pour être refoulé et intériorisé, un vécu doit être particulièrement intense, répétitif ou conflictuel ; par exemples, telle expérience de satisfaction orale se mémorise parce qu'elle interagit avec des fantasmes narcissiques et provoque une vive sensation de plénitude, tel vécu de castration parce qu'il est conflictuel au point d'engendrer des représentations d'annihilation.

Revenons un instant sur l’histoire de cette notion de sublimation. Dans les Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Freud considère la sublimation comme une des trois voies d'élaboration et de décharge de la sexualité infantile refoulée, trouvant place (chez l'adulte) à côté des voies névrotiques et perverses. Dans Pulsions et destin des pulsions (1915), il en fait un destin pulsionnel, au même titre que le renversement dans le contraire, le retournement sur la personne propre et le refoulement.

Dans Le moi et le ça (1923), on trouve un modèle de sublimation de la libido. Il se fonde sur l'identification et a pour pivot le narcissisme. Les objets des pulsions sexuelles sont intériorisés (= identification), ils deviennent ainsi des composants désexualisés du moi et sont investis en tant que tels (= investissement narcissique). En conséquence, le ça aime désormais le moi comme il désirait sexuellement les objets externes. La libido narcissique peut dès lors se déplacer et investir des objets non sexuels et culturellement valorisés. L'énergie du moi est « une libido désexualisée [dont] on peut dire également qu'elle est de l'énergie sublimée, en ce sens qu'elle fait sienne la principale intention d'Eros qui consiste à réunir et à lier... » (p. 217).

Plus tard, pour Mélanie Klein la sublimation de l’agressivité s'ancre dans la position dépressive et permet, à travers des symbolisations et des mises en fantasmes, de réparer l'objet détruit par les pulsions sadiques. Relevons en passant un aspect de la pensée kleinienne particulièrement intéressant pour qui s’intéresse aussi à Lacan (à son séminaire sur l’Angoisse notamment) et à la sublimation du vide (plus précisément d'un manque créé par le signifiant). C'est le vide créé par la destruction de l'objet qui suscite l'angoisse poussant à la sublimation réparatrice, soit l’équation:

manque ou destruction de a - sentiment de Vide - angoisse - sublimation réparatrice

Winnicott prolonge les vues kleiniennes par une large prise en compte de l'environnement : selon lui, la sublimation s'enracine dans les phénomènes transitionnels qui, lorsque la mère est suffisamment bonne, permettent à la créativité de l'enfant de réparer ce que ses pulsions agressives ont endommagé ou détruit.

C’est aussi ce que souleva Sabina Spielrein dès 1913 dans son article intitulé « La destruction comme cause du devenir » paru in internationale Zeitschrift für Artzliche Psychoanalyse, I.

Aujourd’hui, comme le souligne Daniel Lysek (Bollettino dell'Istituto Italiano di Micropsicoanalisi , n° 22, Turin, Tirrenia Stampatori, 1997), la véritable sublimation, telle que l'entendent les psychanalystes, garde toujours un lien avec le dynamisme pulsionnel qui est à son origine ; même lorsqu'elle en paraît fort éloignée, une manifestation sublimée reste en permanence alimentée par la poussée pulsionnelle originaire.

A ce stade, on pourrait alors avancer que la sagesse collective encourage le manque et l’angoisse comme condition naturelle et nécessaire à la survie de l’espèce Humaine. Au contraire, à l'échelle d'un sujet, le manque de manque serait la chose contre-nature par excellence.

Ceci dit, le renoncement ne peut pas intervenir trop tôt, il doit être le fruit d’une connaissance profonde de la cause et laisser place à une liquidation raisonnée par le côtoiement des limites. Ce sont les limites qui nous enseignent la vie. Ceci n’est valable que pour le sujet. Le groupe a ces prophètes et autres explorateurs pour l’instruire. Le groupe peut-il d’ailleurs prendre les risques encourus par un individu seul ?

Brider, séduire Thanatos (au sens étymologique se-ducerer : conduire à soi, détourner de son but premier) sans chercher à le tuer. Par quelle alchimie peut-on réussir à sublimer profondément Thanatos en Eros sans engendrer de conflits inconscients? Où cela doit-il se passer, dans quel topique : conscient ? Préconscient ? Inconscient ? Comment pouvons-nous agir ? Comment la nature a-t’elle réussi à combiner tant bien que mal cette dialectique sexuelle entre Eros/Thanatos tout en préservant l’espèce et en permettant à l’humanité de continuer à évoluer ?

Pour aller plus loin, permettez-moi alors ce syllogisme digne d’une vérité de La Palice:

Tous les Hommes sont agressifs, en manque et désirants,

or tous les sages sont des Hommes,

donc tous les sages sont agressifs, en manque et désirants!

Autrement dit, ce qui compte, c’est surtout ce que l’on va en faire de cette agressivité primaire, de cette pulsion de mort ou de cette angoisse. Comment pouvons-nous parvenir à la manager pour qu’éclose autre chose, une chose qui porte en elle la même puissance mais dont l’objet-but a changé et s’est converti positivement et sans dommage collatéraux? Et comment être certain de ne pas (se) causer de mal-être névrotique ? Car quand la sublimation échoue, le potentiel pulsionnel se transmute et se fixe en symptôme psychique ou psychosomatique.

La réponse réside-t’elle dans la névrose individuelle agissant comme une véritable calotte universelle devant les grands interdits (mort, inceste) et l’angoisse sociale du retrait d’amour?

C’est en tout cas vers cette réponse que s’achemine S. Freud dans son ouvrage Totem et Tabou.

Sommes-nous condamnés à vivre avec notre névrose pour survivre socialement ? Si oui, comment parvenir à transmuter nos pulsions inconscientes en productions créatives évitant ainsi l'élaboration névrotique défensive, ou la décharge perverse?

Comme le disait Michel de Montaigne dans ses Essais, comment vivre à propos ?

Soit dit en passant, parmi les effets d'une analyse, l'ouverture à la sublimation occupe une place non négligeable. En effet, la talking cure comme aimait l’appeler Anna O. permet cet in-out, cet aller retour et ce déplacement d’une strate à une autre.

En effet, le langage est une des clefs, la symbolisation un autre pivot pour incarner une voie de décongestion artificielle, cathartique et salvatrice permettant de nous rapprocher de notre désir et de sa cause, en l’objet a.

Dans le chapitre sur les causes du désir, dans son séminaire sur l’angoisse, Jacques Lacan nous dit p. 121 : « c’est la notion d’un extérieur d’avant une certaine intériorisation, qui se situe en a, avant que le sujet, au lieu de L’Autre, ne se saisisse dans la forme spéculaire, en x, laquelle introduit pour lui la distinction du moi et du non moi. »

La psychanalyse est-elle alors contre nature, dans le sens où Sasha Guitry disait qu’il était contre les femmes, tout contre ?

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: OCTOBRE ET DÉCEMBRE 2012

Point de départ :

La question, "est-ce la sagesse collective ou la sagesse individuelle, qui peut permettre de définir le périmètre nature/contre-nature ?" m'amène plusieurs réflexions au sujet de la sagesse individuelle.

Mon hypothèse : la sagesse individuelle passerait par le fait d'assumer son désir de puissance (ou volonté vers la puissance?) et d'assumer les castrations et limitations corrélatives. Comme si sa propre castration symbolique pouvait valoir en tant que référence des références, ou valeur des valeurs, notamment si elle est "croisée" avec les castrations symboliques des autres...

Cette notion de castration symbolique sera donc à définir, de même que celle de désir de puissance/ volonté vers la puissance.

La notion de castration :

La notion de castration pour Lacan est plus volontiers utilisée que celle de complexe de castration. Définie « comme étant une opération symbolique qui détermine une structure subjective »[1].

La structure subjective, singulière serait le résultat de l'opération symbolique, qui porte sur le phallus, non pas en tant qu'objet réel, mais imaginaire.

« L'enfant, fille ou garçon, veut être le phallus pour capter le désir de sa mère (c'est le premier temps de l'Oedipe). L'interdiction de l'inceste (deuxième temps) doit le déloger de cette position idéale du phallus maternel. Cette interdiction est le fait du père symbolique, c'est à dire d'une loi dont la médiation doit être assurée par le discours de la mère. Mais elle ne vise pas seulement l'enfant, elle vise également la mère et, pour cette raison, elle est comprise par l'enfant comme castrant celle-ci. »[2]Nous pouvons entendre qu'une castration serait corrélative d'une autre structurellement, dans la relation première à l'objet d'amour.

Au troisième temps, « intervient le père réel, celui qui a le phallus (plus exactement celui qui, pour l'enfant, est supposé l'avoir), celui qui, en tout cas, en use et se fait préférer par la mère. »[3] L'enfant, qui a renoncé à être le phallus, va s'identifier au père : peut-être est-ce là qu'intervient la différence des sexes, et les identifications sexuées corrélatives.

Le garçon, renonce à être le phallus, mais aussi à se servir de celui qu'il a qui ne fait pas « le poids », ajournant dans le temps cet usage. Le déplacement par rapport à l'objet premier restera encore à opérer plus tard, la tentation de retour ou de régression vers la mère se renégociant inconsciemment à l'adolescence, aux prises que le sujet est, avec l'identification au père notamment.

La fille renonce à être également le phallus de la mère, puis renonce à avoir le phallus du père ; reste la troisième opération qui serait le renoncement à la tentation d'être le phallus du père.

A ce prix, l'acte sexuel avec un autre sujet deviendrait alors possible.

Ces étapes ne pourraient-elles se résumer dans un rapport à l'être et à l'avoir (le phallus), sans cesse transitoire et renégocié dans la relation à l'autre, qu'il soit le père, la mère, ou leurs substituts par la suite ?

Entendons substituts au sens où ils reprennent des traits imaginaires, symboliques et/ou réels, de nos identifications premières.

Ne pas être le phallus ou ne pas être l'objet du désir de l'autre, ne pas être l'objet qui lui manque.

Ne pas avoir le phallus ou ne pas « s'en prétendre le maître »[4].

Ce « ne pas » renverrait-il à un acte de conscientisation, de renoncement actif et symbolique, toujours à réopérer dans cette dynamique structurale (inconsciente, pour partie au moins) qui se plaquerait sur chaque relation humaine investie ? Et peut-être même simplement dans le rapport de soi à soi-même ? Qui passerait dès lors par une séparation, une division.

Cette notion de séparation nous la retrouvons à maintes reprises dans un ouvrage de Denise Morel, intitulé « Psychanalyse et cancer ».

Une de ses hypothèses majeures s'énonce ainsi : le sujet souffrant du cancer « nous offre un témoignage ouvert de son non-accès à la castration symbolique »[5].

La notion de transitivisme illustre bien cette castration symbolique non opérante : quand l'autre est atteint dans son corps, imaginairement je suis atteint(e) par le jeu du miroir. « Je suis si proche de mon enfant que ce qui le touche me touche - et, comme le rappelle D. Morel, nous sommes tous les enfants de quelqu'un, (…) nous considérons comme nos enfants tellement d'êtres qui ne le sont pas que cette phrase s'applique à nombre de relations »[6]. L'image en souffrance de l'autre viendrait acter à la fois une différenciation et une séparation, parfois difficiles à symboliser, passant par l'angoisse, angoisse de castration (ou de morcellement?).

La personne qui a recours à une somatisation déplacerait cet enjeu de la séparation : plutôt que de la réaliser avec l'autre, elle serait faite avec soi, et son propre corps, ou du moins une partie. Comme si de sacrifier à une atteinte sur son corps allait contribuer à ménager l'autre ou la relation avec lui.

Une autre hypothèse pourrait consister à associer l'idée de nature à celle de corps, de contre-nature à ce que « subit » le corps (maladie, choc, accident, traumatisme, symptôme, moyens de défense contre ce qui lui fait violence ou l'agresse, que ce soit en termes de symptômes posés entre le monde et soi, ou en terme de passages à l'acte). La culture renverrait au travail ou à la discipline que chacun propose à son corps afin de l'assouplir, le détendre, prendre soin de lui, le soigner.

Contre-nature serait alors toute somatisation que le corps subirait.

Voyons ce que déploie plus précisément Denise Morel dans son ouvrage Cancer et Psychanalyse.

1 - D. Morel note qu'une affection cancéreuse n'est rarement dépistée à son début. Régulièrement le symptôme douloureux et visible renvoie vers une tumeur vieille de deux ou trois ans : « c'est donc deux ou trois ans plus tôt dans l'histoire du patient qu'il faut rechercher l'évènement traumatique »[7].

Le traumatisme procéderait d'une représentation impossible, qu'elle soit représentation de la folie, d'une séparation, de la mort, d'une perte d'un être cher, d'un parent, d'un frère ou d'une soeur, ou « irruption d'un imaginaire menaçant une réactivation d'un fantasme oedipien »[8] exposant de fait à la castration.

Peut-être est-ce aussi parce que l'évènement traumatique atteint l'autre, et pas nous-même, qu'il force d'autant plus notre imaginaire et nos capacités à nous représenter, cet événement ? Et nos capacités à le délimiter. La perte ou la transformation de l'image du corps de l'autre serait un événement qui forcerait les portes de notre imaginaire. « Le sujet trouve l'issue somatique cancéreuse, lorsqu'il ne peut soutenir que sa relation à l'être aimé (conjoint, enfant, parent ou ami) soit en prise directe avec la mort, avec cette castration ultime et jusque-là irrecevable »[9], qui frappe de manière réelle cet être aimé.

2 - Etre confronté à cette représentation d'une castration, cette fois réelle, donnerait à vivre la menace de castration corrélative à la représentation, et l'angoisse qui l'accompagne.

Les conséquences du traumatisme renvoient au réel de la mort, et plus particulièrement à une angoisse de mort si prégnante - ou angoisse de castration ? - qu'elle concerne l'autre ou soi-même - , si prégnante que la mort finit par apparaître intimement pour le sujet comme « la délivrance des tortures »[10]. Comme si le désir du sujet n'aspirait qu'au soulagement, et à la mort, plus qu'à toute autre chose. La pulsion de mort deviendrait dominante, proportionnellement à la culpabilisation, qui vient parfois empêcher toute forme de plaisir, ne serait-ce que par comparaison avec celui qui souffre, et empêcher également un acte suicidaire, associé fantasmatiquement à un soulagement.

3 - Alors, ainsi que le mentionne D. Morel, « comment reprocher au corps de répondre fidèlement à cet appel au secours? »[11]. La somatisation apparaîtrait alors comme un compromis : plutôt que de céder complètement à la mort (quelque part interdite parce qu'elle ferait violence à d'autres), le sujet concéderait inconsciemment à la mort d'une partie de soi.

4 - La question qui se dégage de ces avancées pourrait être : « pourquoi à un moment donné de son histoire tel organisme ne répond plus par des défenses appropriées ? »[12]Les termes « mécanismes de défense » se prêtant ici à l'équivoque somatique et psychique.

D. Morel évoque l'insécurité profonde des sujets ayant perdu un proche du cancer, mentionnant les mécanismes de défense qui viennent répondre aux fantasmes mobilisés par ce vécu : annulation de « perception dangereuse pour le moi », mode de pensée magique (« ne pas y penser, ne pas en parler surtout »[13] et ça n'arrivera pas), troubles de la perception de son corps, de ses douleurs, de ses émotions, dénégation : autant de processus de scotomisation des perceptions angoissantes, parfois renforcés par l'accord plus ou moins tacite de l'entourage.

L'apparition de la tumeur serait également corrélative d'un retrait narcissique. Le support de tout l'investissement affectif du sujet disparaissant, c'est aussi une fonction de contenant qui disparaît pour lui. Est-ce à dire que le corps du sujet est désinvesti narcissiquement, mais aussi dans les dimensions de plaisir (sensations, perceptions, proprioceptions) associées ? Jouissance aveugle, sans bornes, Autre, plutôt que jouissance phallique de son corps en soi ?

« Le cancer est donc le moyen mis à notre disposition pour authentifier cet imaginaire (rester fidèle à un imaginaire fusionnel) ; c'est une façon (...) de faire crédit à la toute-puissance de l'imaginaire. Sommes-nous si loin du délire psychotique ? La somatisation morbide semble être alors une mise en acte du fantasme (...)»[14]

La différence soi/autre n'existe pas ou est déniée, ne laissant pas la place à la pensée, à la représentation singulière.

4 - Plutôt que de haïr et rejeter le porteur de souffrance/symptôme, le « causeur » de souffrance, en tant qu'objet mortifère, beaucoup trop proche, et en plus déjà endommagé, c'est soi-même qui devient objet de rejet : « il se produit quelque inversion libidinale qui maintient l'être aimé en position de « bon objet », et fait basculer le sujet lui-même dans une position de « mauvais objet » à détruire. (…) L'autre scène du meurtre se déroule dans un décor physiologique. Perceptions et affects se trouvent alors radicalement coupés de la psyché et c'est l'explosion somatique. »[15]. Comme si l'enjeu devenait mourir pour ne pas haïr, mourir plutôt que haïr. Quand l'étranger, l'étrange, l'impensable, la mort, s'emparent de l'autre, c'est ensuite comme si la cellule cancéreuse anarchique, folle, devenait la figure de cet étranger, de cet étrange, de cet impensable, de cette mort. « (… Dans) une réaction d'étayage inversée le sujet incorpore ce cancer extérieur, il prend en lui ce « corps étranger » qui l'agresse et l'absorbe entièrement! »[16].

5 - Haïr ferait entrer en scène la culpabilisation. Plutôt que d'assumer d'être coupable, - donc exclus du mythe familial, du mythe fusionnel, d'un imaginaire qui fait tenir, donne consistance, le sujet prendrait le parti inconscient d'être coupé : coupé d'une partie de lui-même en l'occurrence, coupé de son corps.

Le sacrifice serait celui du corps. Ou d'une partie. Corrélatif du retrait narcissique.

« (…) nous pouvons supposer qu'en détruisant inconsciemment son propre corps par le cancer c'est le corps de l'autre et tout particulièrement le corps maternel qui est visé »[17]ajoute D. Morel. Corps renvoie aussi métaphoriquement vers la notion de groupe, groupe familial avec ses membres, par exemple. Ou couple, autre version du groupe, la plus restreinte, la plus fusionnelle aussi possiblement.

Le sujet souffrant du cancer, s'il témoigne de son non-accès à la castration symbolique, peut-être non-accès temporaire, témoignerait d'une tentative de métaphorisation d'un corps fusionnel en souffrance.

Ou en tout cas, tentative de symboliser quelque chose de la mort.

Cette symbolisation apparaît comme une formation de compromis, aux prises avec la culpabilisation confuse en jeu. Symbolisation au ras du corps, et même dans, et par, le corps, au travers d'un symptôme somatique.

Ce progrès, malgré nous.

Anne-Gaëlle Burban, mars 2013

La dialectique de nature/contre-nature induit la question de la continuité et de l’évolution de l’espèce humaine dans son milieu. Cette écologie in progress n’a de cesse de nous balloter entre un devenir, nous faisant déployer des trésors d’ingéniosité pour nous adapter aux contraintes et aux mutations qui viennent, bien souvent, des conséquences de notre gestion socio-économique de notre présence au monde.

Au vu des avancées technologiques, sociales, artistiques, intellectuelles, peut-on parler de progrès de l’humanité? Et si oui, comment définir cette notion (et pourquoi pas cette motion)? Pourquoi sommes-nous devenus ce que nous sommes ?

Ce qui est certain, c’est que ce qui nous fait aller en avant, aller plus loin pour avancer*, nous procure tantôt, jouissance, mais aussi manque, insatisfaction et frustration. Ce petit gout de « reviens-y », cette blessure narcissique de l’humanité, cet objet petit a, autrement appelé la chose Freudienne, nous meut dans une perpétuelle fuite en avant et dans un état d’attente qui nous aliène à la réponse de l’autre (c’est le discours de l’hystérique : dH). Autrement dit, c’est l’angoisse nécessaire et existentielle qui nous maintient en vie depuis des millénaires.

C’est un peu comme si nous, animaux dénaturés et Sisyphiens, marchions dos au soleil et que nous cherchions à recouvrer inlassablement notre ombre. Cette image rejoint aussi celle de l’inaccessible étoile que les poètes chantent parfois mélancoliquement comme une utopie dont il ne faudrait, finalement, surtout pas faire le deuil.

De cette marche en avant, nait des langages, ambitions, curiosités, solutions créatives, innovations qui nous éloignent superficiellement de notre état de nature. Superficiellement, car l’être humain semble avoir cette étonnante capacité, comme l’a montré Freud dans Totem et Tabou, à cultiver et à conjuguer au présent le primate et les bactéries millénaires qui dorment en nous. En ce sens, on pourrait même avancer que la névrose est un signe de progrès dans le sens où le sujet cherche une fuite, un symptôme pour envelopper ses pulsions et s’adapter, autant que faire ce peut, aux lois de la cité.

Cependant, il arrive parfois, que la machine se grippe et que nous tombions en état de mélancolie ou de dépression. Individuellement ou collectivement, nous connaissons des blocages ou des crises qui viennent nous donner des occasions de stopper notre mouvement vers pour bégayer sur place.

Et si la sortie était dans la symbolisation, dans la production de nouveaux signifiants ?

Lorsque l’on se penche sur les 4 discours de Jacques Lacan, on comprend que le discours peut lui aussi évoluer et nous faire changer de positionnement dans notre rapport à l’Autre. Historiquement et globalement en Occident (et ailleurs ?), pourrait-on dire à l’échelle des cinq milles dernières années, nous sommes passés collectivement du discours du maitre (dM), au discours de l’université (dU) avec la renaissance et le siècle des Lumières pour arriver à la découverte Freudienne de l’inconscient et à la naissance du discours de l’analyste (dA). Individuellement, il en est autrement. En effet, notre rapport au monde est barré. Nous sommes à la fois des êtres conscients et des êtres conduits par la dynamique de notre inconscient.

Donc, si notre inconscient est structuré comme un langage et fonctionne comme un système d’archives, nous sommes tous porteurs d’une logique autre, où nos signifiants s’enchainent malgré nous pour parler un autre discours que celui que nous croyons maitriser à l’état de conscience. Cet état de nature, pourrait-on dire, nous amène parfois à régresser mais porte aussi notre désir fondamental d’être au monde pour qui, le but de la vie est la vie.

La cure analytique poursuit donc cet objectif de donner un lieu, une hétérotopie (d’abord matérielle avec le divan et immatérielle avec le protocole de l’écoute flottante de l’analyste) pour faire avancer le sujet dans la connaissance et la (re)construction de son propre discours. Un peu à la manière de l’archéologue, l’analyste fait remonter à la surface les chaines signifiantes et les liens inconscients pour nous aider à nous en libérer et à donner forme à notre bon sens (celui de notre désir).

Pour aller plus loin dans l’illustration de cette idée, la lecture du texte de Freud sur « les délires et les rêves dans la Gradiva de Jensen » peut se révéler être un très beau voyage au cœur de la « cure d’amour ».

LE TALENT DES PETITS POTS

Anne-Gaëlle Burban, mai 2013

Simulation virtuelle pour le projet d’intervention plastique intitulée Nature/Contre Nature.

© Crédit photographique Julien Borie, nOOrs.

A l’intérieur du vaste espace d’une ancienne grange, une foule de 364 ou 365 petits pots en verre (selon les années), porteurs ou non d’un post-it coloré rose, jaune, orange vert ou bleu, vient s’agglutiner à même le sol et occupe la place en formant naturellement une barrière circulaire de 6 mètres de diamètre, dessinant ainsi une immense aire vacante et sphérique.

Dans le silence du lieu, cette installation in-situ joue avec les qualités plastiques d’une unité (le petit pot de verre) qui se répète et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. En effet, de micro variations viennent rythmer l’appréhension de l’ensemble et opèrent localement comme autant d’agents singuliers. Parmi ces variantes, on citera notamment la présence ou non de post-it à l’intérieur, leur couleur, leur contenu et leur position. Nous serons sensible également aux formes, ainsi qu’à l’orientation et à la manière dont chaque pot capte et transmet la lumière à notre regard.

Contrairement à ce que nous avons comme représentation d’une galerie d’art, l’occupation, ou plutôt le déploiement spatial se joue ici horizontalement et non verticalement. Il s’agit ici d’un monument relativement plat (environ 8 à 10 cm suivant la hauteur des pots), agissant un peu comme un bas-relief ou une flaque potentiellement coupante qui empêche ou du moins conditionne, d’une certaine manière, la déambulation du spectateur.

En rentrant le spectateur pourrait être saisi par l’aspect d’inquiétante étrangeté émanant de cette installation éphémère. En effet, le petit pot de yaourt en verre, compagnon bien connu de notre table, libéré de son opercule se retrouve détourné de sa fonction. De un, il passe à 365 et devient le marqueur du temps qui passe.

Pris dans l’installation, chaque sujet peut s’identifier à un petit pot, plein ou vide et ressentir sa condition de « petit point/pot » emprisonné par l’instinct grégaire dans l’immensité du cosmos.

Les petits pots semblent déterminés par une loi, un tabou, une peur fondamentale les empêchant de franchir une limite invisible. N’est-ce pas ainsi que nos sociétés et que nos individualités sont régies ? Est-ce la marque d’une sagesse collective ?

Le contraste de la foultitude disciplinée des petits pots créant ce vide peut aussi provoquer un sentiment de malaise, voir d’angoisse. De cette angoisse peut naitre une image magique, un fantasme. En effet, rien ne nous empêche d’attribuer à cette zone sacrée (parce qu’apparemment vierge) des vertus chamaniques.

D’une certaine manière, l’installation Nature/contre nature cherche à réveiller l’ambivalence qui est en chacun de nous. A la fois fasciné et repoussé par ce périmètre du vide et du manque, le sujet observe passivement la multiplication exagérée d’un détail du quotidien : le pot et le mot. La répétition, la ritournelle du module peut conférer au bégaiement (T.O.C) ou au symptôme, voir à la propagation cancéreuse des cellules d’un espace protéiforme dont nous ne serions qu’une infime partie. Ce rien, cette forteresse du vide peut aussi faire référence au discours d’un certain capitalisme qui produit du rien à la place du désir et qui maintient ainsi le peuple hystérisé à l’écart d’une jouissance investie.

Parallèlement l’idée de multiplication des pots (et non des pains !) peut également faire référence à la dialectique vie/mort en donnant l’avantage à Eros. C’est alors, la parabole de la continuité, de la résilience, des générations qui se succèdent depuis la nuit des temps et qui vérifient la thèse que le but de la vie est la vie.

Quant à la place du langage dans cette œuvre, elle est centrale. Les mots contenus dans les pots sont pareils à des talents révéler ou à révéler (dans tous les sens du terme : la monnaie et les aptitudes). Ce sont ces mots avec leur mi ou leur non-dit qui lient et animent les multiples unités en un tout. A l’instar d’un mur des lamentations horizontal, chaque post-it contient localement et individuellement un secret (un tabou) participant globalement aux soubassements culturels (le grand Autre) et à l’enrichissement collectif des signifiants.

Ainsi, ce qui serait fondamentalement contre nature serait la disparition de ces signifiants. Or, une société en panne de nouveaux signifiants est une société rongée par le cancer de sa morbidité et promise à l’extinction imminente.

BIBLIOGRAPHIE

§ Freud S. « Malaise dans la culture », 1930

§ Freud S. « Le moi et le ça », 1923

§ Michel de Montaigne. « les Essais »

§ Freud S. « Délires et rêves dans la Gradiva de Jensen », livre de poche.

§ Freud S., « Trois essais sur la théorie sexuelle », 1905.

§ Freud S., « Totem et tabou ».

§ Freud S. « Deuil et mélancolie », livre de poche.

§ Laborit E. « Eloge de la fuite », livre de poche.

§ Lacan J. « Livre XVII : l’envers de la psychanalyse », ed. Champ Freudien.

§ Lacan J. « L’angoisse – Le séminaire, livre X ».

§ La bible, Le maitre et les trois serviteurs, Matthieu, 25, 14-30

§ Sabina Spielrein « La destruction comme cause du devenir », in internationale Zeitschrift für Artzliche Psychoanalyse, I,1913.

§ Daniel Lysek. « Bollettino dell'Istituto Italiano di Micropsicoanalisi , n° 22, Turin, Tirrenia Stampatori », 1997.

§ Fanti, « Dictionnaire de la psychanalyse et de la micropsychanalyse », 1983.

[1] CHEMAMA R., VANDERMERSCH B., Dictionnaire de la psychanalyse, p. 52.

[2] Ibid., p. 52.

[3] Ibid., p. 52.

[4] Ibid., p. 52.

[5] Ibid, p. 100.

[6] Ibid, p. 67.

[7] Ibid, p. 27.

[8] Ibid, p. 34.

[9] Denise Morel, Cancer et psychanalyse, p. 77-78.

[10] Ibid, p. 27.

[11] Ibid, p. 27.

[12] Ibid, p. 24.

[13] Ibid, p. 19.

[14] Ibid, p. 66.

[15] Ibid, p. 166.

[16] Ibid, p. 157.

[17] Ibid, p. 170.

Bienvenu, Welcome, Khosh Amadid

De l’art rupestre aux Droits de l’homme: L’Amour, Parcours du monde, Atelier de l’Univers

Mesdames, Messieurs, bonsoir. Je tiens d’abord à remercier le cercle qui m’a honoré de cette invitation suite à ma conférence à l’UNESCO cette année sur le thème « Le regard croisé sur la calligraphie ». J’essaie dans le temps que vous avez voulu bien m’accorder, de faire un tour avec vous vers les profondeurs de l’existence de l’être humain, de sa vie dans les grottes, jusqu’à l’invention des Droits de l’Homme, cette grammaire de la vie et de l’échange entre les peuples, les cultures, les générations. On peut lire les Droits de l’Homme à la lumière, notamment, de cet étonnant poème du grand poète perse , Hafez de Chiraz, que avec votre permission , ai-je citerai d’abord en persan pour que vous entendiez bien la musicalité de ces vers:
با مدعی مگوييد اسرار عشق و مستی
تا بی‌خبر بميرد در درد خودپرستی
عاشق شو ار نه روزی کار جهان سر آيد
ناخوانده نقش مقصود از کارگاه هست
Au prétentieux ne livrez pas les secrets de l’amour et de l’ivresse,
Qu’il meure en ignorant, dans les douleurs du culte de soi !
Sois amant, sinon, le cours du monde finira un jour

Et tu n’auras pas lu à quoi sert l’atelier de l’existence.

(De traduction de Charles – Henri de Fouchécour d’édition de 2006)
Shams ald –in Mohamad Hafez de Chiraz, né au 14 siècle, est le sommet de la poésie et de la culture persane. De ce sommet on peut entendre la culture perse. Dans sa poésie en utilisant des éléments clés de culture perse, il synthétise presque toutes les tendances : les mystiques, les athées, les épicuriens, les savants, les sages, et surtout les amoureux : sa poésie est l’école de l’amour.

Partons ensemble des parcours du monde à l’atelier de l’univers :
Plus de trois milliards années, de la bactérie à l’être humain« homo sapiens » et quarante mille ans depuis cet avènement jusqu’à nos jours. La vie se continue et plus les années s’accumulent, plus la résistance devant la mort, « cette chose », que nous appelons par simplification « la vie », augmente. Comme si le but de la vie était « la vie » contre « la mort ».
Ce parcours colossal de « jouissance », passant par une étape cruciale de droit de l’homme, ne peut pas s’arrêter sans aller jusqu’au droit à la vie, comme le seul droit valable sur notre base « la terre ».
Au-delà des fossiles de nos ancêtres, il nous reste de ce parcours des témoins historiques et architecturaux, Il y a l’art rupestre, il y a des écrits, il y a la culture orale, il y a les patrimoines culturels humains et il y a la totalité des espèces vivant sur notre terre : témoins du passé et point de départ vers l’avenir. .
Jusqu’au jour où on a écrit sur un support. Et bientôt, c’est la Déclaration universelle de droits de l’homme, et l’être humain se dresse comme le plus noble témoin de ces trois milliards d’années. Ce Parcours du Droit le plus universel a encore de beaux jours devant lui : Ecrire le droit de la vie et bien entendu le faire respecter. Peut-être, peut-être ce droit nous conduit au-delà de cette terre ! Et peut-être, peut–être ce droit nous demande un autre espace ! Pour continuer à laisser cet héritage « la vie » à nos enfants il nous reste à chacun à tracer ce parcours collectif de la vie, mais à chacun son propre support…
« Silence est bleu à la hauteur des yeux de ciel,
Le temps s’écoule jusqu’à bout de nos fatigues. »
Un parcours

Arrêtons un moment sur un Parcours parmi des parcours du monde : mon parcours, ceci nous permet de mieux saisir dans quelle position je suis et avec quel objectif j’observe et j’évolue dans l’univers…

La Perse aux racines de mon parcours

Je souhaite retourner la camera vers l’intérieur, faire sortir le résultat d’un savoir et d’une connaissance, faire travailler ce potentiel à la fois intuitif et scientifique, car la psychanalyse est une intersection de l’art et de la connaissance. Ouvrir de nouvelles pistes, au croisement d’une pratique de la science comme vérification et d’une pratique de l’intuition au service de l’invention, voilà ce qui est ma recherche. Un exemple parmi d’autres, comme un des innombrables laboratoires dans notre atelier de l’existence, un exercice que chacun de nous peut faire, car de toute façon dès qu’on parle, on parle que de soi. Un parcours de vingt ans pour trouver un autre « Jayegah », le mot « Jayegah » en langue persane signifie temps - espace, l’expérimentation de double: l’orient - occident, symbolique - réel, intuition- expérience, une tracé autrement dans un volume à quatre dimensions. Ce que je veux partager avec vous ici est cette expérience que notre présence est un passage dans un volume, d’un point vers l’autre, unique, mais ce volume est la présence dans le « Jayegah » de la totalité au moins 11 milliards être humaines : donc je ne suis pas seul.

Suite à ma rencontre avec la psychanalyse, j’ai développé un autre regard sur le mouvement culturel persan qui s’étend de 7000 ans avant notre ère jusqu’à aujourd’hui. La manifestation des corps étant interdite en Islam, l’art et la littérature se manifestent autour de l’architecture, la poésie et la calligraphie. Bien entendu, ce nœud à trois dimensions, l’architecture, la poésie et la calligraphie, porte en lui les trois moyens de la connaissance humaine :
- premièrement : l’effet de la réalité sensible (géographique, des modes de vie, du climat, de la nature, des végétaux, des fleurs et des déserts),
- deuxièmement : l’effet de l’imaginaire, des rêves, des fantasmes, des espoirs, des désirs,
- et enfin les effets du symbolique, incarnés dans la culture, dans les gestes, dans les signifiants, les mots, les façons de bouger, des mouvements du corps, les façons de tourner les yeux, les danses etc.
Le sensible, l’imaginaire, le symbole : le fait de voir, d’entendre, de sentir, nous-même et notre extérieur, nous renvoie à une réalité englobante qui se joue de nous, qui nous fait jouer, qui nous attend à quelques pas, au-delà de notre champ accessible. Et voilà dès notre arrivée, cette réalité prend le virage et se cache derrière : derrière un mot, un regard, une sensation, un bruit, une tache, un sourire.
Ce que je cherche est l’illustration de la cohérence et de l’harmonie de cette image « Mondus Imaginalis », par la Calligraphie, la peinture, l’image de l’architecture dans la peinture, l’image des dessins et des courbes dans la calligraphie, les courbes des dômes dans les alphabets, et peut-être dans l’avenir les traces les plus profondes des symbolisations : des traces de l’art rupestre dans ces signes et ces symboles..

Et de l’Iran aux Droits de l’Homme, c’est une rivière qui a coulé depuis des milliers d’années. Les premières couleurs des droits de l’homme, on peut les trouver dans le cylindre de Cyrus, fondateur de la Perse, il y a 2500 ans déjà. La Perse a été le berceau de l’administration grâce à l’invention de la Poste, l’Impôt et l’armée régulière. La Perse a été un précurseur de l’idée même de civilisation, par le respect des croyances et des rituels des différents peuples, par la présence d’une continuité dans l’architecture et dans la langue persane. Cette civilisation a subi des grands tremblements culturels d’Alexandre à l’Islam, de Changiez à Tamerlan, du changement rapide et massif des religions de Mithriacisme au mazdéisme, de l’Islam sunnite à l’Islam Chiite, des découvertes de la Modernité, avec la laïcité. Etre né à Chiraz près de Persépolis, le symbole de l’époque avant l’Islam, c’est garder en mémoire les traces de ruines choquantes pour un enfant.

connaître et créer

Les dimensions multiples de ma présence dans l’univers l’une après l’autre ou bien en même temps ou parallèlement, m’ont emporté par cette alchimie qui s’appelle la vie : D’une part, en tant qu’ingénieur, l’influence de la précision scientifique vers ses applications dans la réalité, par le biais des systèmes d’informations comme modèles, fait sentir cette présence vers ce questionnement qui surgit de l’intérieur vers l’extérieur.
D’autre part l’intuition et la création artistique donnent l’épaisseur à ma vie dans le rêve, dans le fantasme et dans la migration. Et pour illustrer ces dimensions, je cite l’un de mes poèmes suite à une rencontre avec ce poème de T.S. Eliot qui m’habite:
« I should be glad of another death »
Il apprend à voler ;
Il atteint le toit du détachement charnel ;
Seul plus haut, si haut qu’il ne peut plus voir le temps passé.
L’aigle de la solitude est né.
Un fragile diaphragme se déchire.
L’aigle libre, emporte sa nouvelle vie, à chaque instant, seul.
L’instant est le temps, l’univers est le point.
Sans recherche, les yeux pleins d’ironie, il trouve la solitude de la mort.
“I should be glad of another death" * T. S. ELIOT

De l’étonnement devant le ciel étoilé des nuits désertiques de l’ Iran, en face de cette immense profondeur bleue, calligraphié par les poèmes à l’infini à la recherche de ses traces, et des années plus tard à l’école polytechnique de Téhéran, surgit le choix de mon héros de la connaissance : Einstein. Ensuite la rencontre de très prés en Europe avec les disciples de Freud, ce magicien, découvreur des points d’ombre de notre esprit. Et ma main qui s’est passionnée pour écrire et écrire la poésie de Hafez en Nastaliq sommet de la calligraphie persane: les courbes les plus harmonieuses que l’être humain a inventé à ce jour à mes yeux. Ces dimensions retracent l’ écriture de l’atelier de l’univers, du ciel et du désert dans le réel de mon corps.
L’Alchimie commerce, cet intérieur-extérieur, cette intuition – connaissance.
La liberté de l’artiste et la rigueur du scientifique mais aussi quand il s’agit de calligraphie la rigueur de l’artiste et la liberté du scientifique, le langage de la nature et l’écriture de l’expérience humaine.
Un être est né, il va grandir dans l’étonnement devant : la présence de la science, Darwin, Freud Einstein, et Marx, dans les théories sociales expliquant des misères des habitants des bidonvilles et les dénuements mystiques, entre l’histoire de la philosophie écrite par Bertrand Russell, sans parler d’autant de savants et maîtres comme Avicin, Mola Sadra, Confucius ….,
entre ce monde de mouvement, la laïcité, la pensée libre, les paroles et les productions et, en absorbant, en mangeant ces grands univers multidimensionnels, en essayant de partir dans ce volume d’une diversité incohérente , entre les parole de Zarathoustra : pensée pure, parole pure et acte pur et la dureté de tradition Chiite,; et devant le ciel du désert infini, à deux doigts de toucher les étoiles, et le mystère de naissance.
La rosée s’éveille,
Cette pureté de la nuit,
Nettoie la feuille.

L’intérêt de prendre en compte un volume de 14 milliards année, 11 milliards de vies d’homo- sapiens- sapiens et 3 milliards d’année de la première bactérie à nos jour, est de prendre en compte le mouvement de la vie . Mettre chaque élément de la vie dans un univers,dans la relativité dans la plénitude,la relativité par des groupes végétal, animal, être humain, la relativité de statique vers dynamique. Imaginons un desparasites sur une fourmi qui bouge sur le dos d’un cheval dans un avion, la terre avec deux mouvements et le système solaire qui tourne au tour de centre de la galaxie et notre galaxie avec une vitesse vers quelque part, ce parasite est déjà dans huit mouvements :une illustration du dynamisme de notre univers.
A chaque geste, ma main se pose une question dans sa continuité entre cette fusion avec l’atelier de l’univers, la répétition des mouvements respiratoires de la vie qui m’ont été transmis par les maîtres à ce jour et le point de découverte qui m’attend le moment suivant .Un geste qui m’ouvre vers un autre horizon, pas seulement par les danses des mots entre eux par les jeux des caractères sur une surface blanche mais aussi , par l’harmonie ce qui se manifeste à travers des liens entre les blancs de non-écriture .
Laisser entendre une vérité grâce à la dérive de quelques millimètres de prolongation d’un caractère à la fin d’un mot à la suite d’une phrase, un poème qui m’habite et se récite par la bouche d’un maître comme Hafez qui me regarde et me dirige juste au moment ou je suis sur le point de comprendre :
گفتم اين جام جهان بين به تو کی داد حکيم
گفت آن روز که اين گنبد مينا می‌کرد
Je lui dis : « Cette coupe où l’on voit le monde, quand le sage te l’a-t-il donnée ? »

Il répondit : « le jour où Il formait cette coupole d’Azur émaillé. »

Oui, c’est le cœur qui est acteur de la recherche, mais il cherche un outil imaginaire pour voir la réponse, un outil inaccessible aux sens et à la raison ?, que pour Hafez, il n’y a qu’un être imaginaire, qu’un regard anthropologique, celui qui peut avoir une vue de l’histoire en profondeur , celui qui lui a donné la vision depuis la création…. Cet outil est dans les observations, nos observations avec un angle du vue en profondeur et en volume de l’Univers… Nous sommes ici aussi dans le même positionnement, pour comprendre une bribe de quelque chose…

Explorer l’intérieur : l’amour, outil de connaissance

Et finalement s’occuper de l’intérieur, enlever les masques successifs de l’extérieur vers ce profond intérieur, faire de l’être humain un chantier d’observation, essayer de le couper et recouper dans un sens comme dans un autre,
- de la culture grecque comme psyché et soma à l’Islam comme esprit et corps,
- du mythologie perse, de Ravan et Jan (les deux concepts proches de âme et corps) au mysticisme de l’école persane et par son représentant le plus noble : Hafez qui monte à un degré assez parfait comme découpage en : Ravan, Jan, Tête , Cœur, esprit, jusqu’à tête de cœur .
- De la psychanalyse à l’anthropologie et le savoir des mots aux traces de savoir, à prendre en compte le champ de profondeur de la connaissance avec cette diversité qui nous réunit. Découper et recouper un être parlant , faire et refaire de l’individu, cette indivisibilité de la bactérie d’une cellule à la vie jusqu'au sentir dans sa chair la parole de l’autre, un aller et retour permanent entre indivisible et collectif, de famille au tribu, de l’ «état – nation» aux communautés de pensée et croyance, de l’unité de l’être parlant au primate, des animaux, des végétaux et tout simplement de la vie.
Ce cheminement, c’est apprendre à ne pas entrer dans le jeu de ses propres signifiants, à se donner les moyens de prendre au jeu ses propres mondes, en entrant aussi les rêves, les fantasmes dans la vie de la cité et en soi même, et plus loin devenir sensible à ce qui est classé en délire, se perdre dans la réalité des autres pour un autre : « autre ». Apprendre à regarder un indivisible dans sa bulle qui nous donne l’image d’un monde virtuel dans un grand bal masqué, et les réseaux de liens invisibles qui réunissent ces indivisibles et produisent d’ autres indivisibles. Dans la totalité des signifiants inventés à ce jour par cette masse de créateurs de symboles, qui finalement se véhicule si librement sans que l’on puisse identifier lequel appartient à qui, nous nageons dans nos symboles, nous les développons, nous les transmettons et finalement nous les oublions pour qu’ un autre dans un autre moment le prenne en main et ça continue. C’est comme finalement la limite, cette fameuse limite, ce point de l’univers est une grande somme de ses symboles et ça aussi ce n’est pas si stable qu’on peut le croire. si Cet ensemble de nos découvertes, de nos inventions, de nos connaissances et de nos savoirs dans l’art de comprendre notre soi et l’autre, de changer notre soi et l’autre en même temps, nous donne la possibilité de changer l’état de l’être.

Citons encore Hafez :

بيا تا گل برافشانيم و می در ساغر اندازيم
فلک را سقف بشکافيم و طرحی نو دراندازيم

اگر غم لشکر انگيزد که خون عاشقان ريزد
من و ساقی به هم تازيم و بنيادش براندازيم

Viens t’en, nous effeuillerons la rose et dans la coupe verserons le vin!
Du ciel nous fendrons la voûte et lancerons un plan nouveau !
Si le chagrin lève une armée pour faire couler le sang des amants,
Moi et l’échanson ensemble attaquerons, mettant à bas ses fondations ;

Car c’est la finalité de cette démarche de connaissance de l’être humain - le champ de l’amour, qui est un double lieu : de résonance avec l’être (le sien ? l’être aimé ?) et de présence dans le champ de l’être, présence qui guide son changement.
Rien n’est écrit d’avance : la vie invente, construit et partage mais elle continue.

En persan le mot « Hal » signifie le présent, passer un bon moment, et au même temps un concept comme ultime objectif pour les acteurs de l’expérience mystique . Arriver au moment de « Hal», ce moment à l’intersection de ce qui a été inventé et reste à inventer, entre ce qui a été découvert et reste à découvrir, entre sentir l’extérieur, mais par l’intérieur comme au milieu d’un Tore, un extérieur qui donne vers intérieur ou un intérieur ouvert à l’extérieur.

1. L’expérience de la vie comme atelier de l’univers

a. La symbolisation est la voie pour penser l’univers

De ce parcours, revenons vers cet atelier de l’univers qu’est l’existence :
Je parle de l’atelier de l’univers comme d’un laboratoire dans lequel il y a des recherches ; pour comprendre pour découvrir, pour inventer l’autre et soi-même. Pour prolonger les outils des méthodes, s’adapter, à un espace temps multidimensionnel, à ces 14 milliards d’années, ces 40 000 ans de homo sapiens -sapiens , ces 11 milliards d’êtres humains nés à ce jour. Pour l’efficacité du fonctionnement de ces laboratoires il faut une règle de base : jusqu’où peuvent aller leurs libertés? Sans une grammaire, le dialogue ne peut pas être établi. Sans la liberté, des frontières et des expériences ne peuvent pas être franchies. Pour la tolérance et la réciprocité, il faut communiquer et passer le message, il faut profiter des travaux des uns et des autres, il nous faut une langue commune et bien sûr, sans nous édicter la direction, un fondement laïque. La tolérance aussi a besoin d’avoir ses limites. Comment peut-on être sûr que notre limite de tolérance est vraie ? Est-ce le retour vers les frontières des symbolisations, parole et langage en éliminant l’ensemble de leurs effets. Ne serait-ce pas là une solution ?

Comme nous dit Saadi ce grand poète du 13ème siècle persan:

بنی آدم اعضای یک پیکرند
که در آفرینش ز یک گوهرند
چو عضوی به درد آورد روزگار
دگر عضو ها را نماند قرار
تو کز محنت دیگران بی غمی
نشاید که نامت نهند آدمی
« Les enfants d'Adam font partie d'un corps
Ils sont créés tous d'une même essence
Si une peine arrive à un membre du corps
Les autres aussi, perdent leur aisance
Si, pour la peine des autres, tu n'as pas de souffrance
Tu ne mériteras pas d'être dans ce corps »
L’effet mutuel des arborescences de notre présence dans cette atelier : l’arbre des langues ; arbre des écritures, arbre des ethnies et cultures et des mythologies communes, des voyages et des migrations qui s’enrichit des profondes racines de ces laboratoires et enfin des signifiants, des symboles et leurs effets pour élaborer à la fois un outil de communication avec nous même et avec l’autre. Un exemple en est les 140 000 langues , les plusieurs milliers d’écritures et la plus inchangée de l’écriture, celle du chinois , avec son graphisme et sa beauté, tirant son origine de l’art rupestre même, comme par exemple Nastaliq…

L’invention de l’écriture commence par la communication du symbolique pur, les chiffres mathématiques jusqu’aux notes pour la communication entre les musiciens . Ces notes de musique, cette image passe à la symbolisation même dans l’art rupestre. Dans certaines traces de dessins d’art rupestre on voit ainsi un instrument de musique dont joue par un être humain et plusieurs points dessinés en bas de l’instrument, des points qui tombent de l’instrument comme si nos ancêtres déjà avaient déjà symbolisé, même le son, par des points.

A la recherche d’une valeur des valeurs, d’un point de commencement, peut-on faire la recherche avant et après la symbolisation ? En comprenant les effets de la symbolisation:la séparation par la nomination communique avec le futur et l’autre. Mais il y a aussi la séparation car il y différentes écoles de symbolisation, des séparations de langues, de cultures et d’écritures. Cette séparation distingue l’autre sauf dans la musique, dans l’art plastique. A l’intérieur de la symbolisation nous restons prisonniers et l’accès à cette valeur des valeurs nous devient impossible.

b. L’amour est la voie pour pénétrer l’univers

Hafez nous dit :
عشقت رسد به فرياد ار خود به سان حافظ
قرآن ز بر بخوانی در چارده روايت
L’amour te viendra en aide, même si, comme Hafez,
Tu récites le Coran dans ses quatorze recensions.
Remarquons que pour Hafez, même pour comprendre la voie du livre on a besoin de l’amour. L’amour qui répond à l’appel au secours lancé par qui cherche à comprendre quelque chose de cet atelier de l’univers, à identifier un point de démarrage. L’amour intervient comme résonance avec l’univers , comme un état d’être parlant de chaman à ce jour, comme une vibration avec l’autre, une compréhension par la continuité de l’être, l’être sans différence . Les grandes disciplines de connaissance par l’acte de symbolisation rendent mesurable le réel dans les unités de compréhension éducables. Mais il y a un autre laboratoire hors quantification, hors logique de cause à l’effet, à la fois avant et après dans le temps. Ce qui dans cet hors- symbolisation est qualifié comme inexplicable.
Comment pouvons- nous enrichir le travail de ces laboratoires de notre atelier de l’univers ? Entre ces deux extrêmes : l’amour visionnaire et la voix de la science, il y a la diversité culturelle.
Le respect de la continuité des chemins de la connaissance est la condition de leur enrichissement mutuel.
                          ----------------------------------------------->
-----------------------------------------------0-----------------------------------> temps
expérience du passé                  jour                        invention +découverte de demain
                                <---------------------------------------------------------
Le temps nous permet de reprendre le temps du passé et le faire venir en présent, de faire redémarrer le passé en présent. L’écriture, la peinture, la photographie, les récits mythologiques, le cinéma , le théâtre , le roman, la nouvelle,…sont des archives de la trace de nos efforts dans l’univers et les effets mutuels d’une compréhension de notre passage via le progrès scientifiques et technique. En même temps la connaissance du passé nous permet davantage la connaissance de nous même et l’autre. Plus je sais comment je suis fait, plus je peux connaître mon univers et par conséquence plus j’invente et cette procédure s’accélère plus en plus, à tel point qu’on peut dire que plus de la moitié des savants que notre terre a hébergés sont aujourd’hui vivants.

Les disciplines scientifiques nagent aussi dans l’océan des signifiants, cette prison qui nous bloque aux signifiés et Hafez l’avait pressenti :
بشوی اوراق اگر همدرس مایی
که علم عشق در دفتر نباشد
Si tu es notre camarade d’école, lessive les pages.
Car la science de l’amour n’est pas dans les cahiers

2. la déclaration des droits de l’homme comme pierre de Rosette
Alors Quelle grammaire pour nos laboratoires ?
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, avec son introduction et ses trente articles, charpente de la structure de notre cité : elle est le sommet de la longue marche de la vie collective de nos parents, des grottes vers la lune. Des premières traces de symbolisation, les peintures rupestres, à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, cette distance d’environ quarante mille ans, d’ efforts et de luttes pour augmenter les champs de notre connaissance et de notre bien-être, est une longue traversée. Les quatre vingt mille champs des dessins préhistoriques découverts à ce jour, ( 40000 – 8000 ans avant notre ère), avec la diversité de leurs symbolisations, et les moyens utilisés, situés sur les cinq continents, parlent de l’espoir, de voyage, de l’espérance de paix, de vie en famille, de découvertes, d’étonnement devant l’univers, et enfin des relations avec l’autre et avec la nature…
J’entends la même voix en regardants les œuvres rupestres qu’à la lecture de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : celle du premier être humain qui se dresse. Cette voix résonne aussi dans le livre des rois de notre poète épique persan Ferdowsi, écrit au 10ème siècle en plus de 50000 vers. Après son développement au sujet de l’univers, il nous dit comment l’être humain a vu le jour :

چو زین بگذری مردم آمد پدید - شد این بندها را سراسر کلید

سرش راست بر شد چو سرو بلند - به گفتار خوب و خرد کاربند

پذیرنده‌ی هوش و رای و خرد - مر او را دد و دام فرمان برد

ز راه خرد بنگری اندکی - که مردم به معنی چه باشد یکی

ترا از دو گیتی برآورده‌اند - به چندین میانچی بپرورده‌اند

نخستین فطرت پسین شمار - تویی خویشتن را به بازی مدار
Après ça l’être humain se manifeste
Il est devenu la clé pour l’ensemble de ces nœuds
Sa tête se dresse comme un cyprès haut
Bon en discours en profitant de la raison
Il absorbe l’intelligence, la pensée et la raison
Les animaux domestiques et sauvages lui obéissent
Si tu observes par la voix de la raison
Que l’être humain dans l’essence n’est qu’un
On t’a sorti de deux mondes

On t’a donné des moyens
Premier dans la nature, et dernier qui compte
C’est toi, ne te prends pas dans un jeu.

On peut se demander comment Ferdowsi il y a plus de 1000 ans , sans les connaissances scientifiques de notre siècle , a établi autant de constats justes sur l’évolution de l’Être humain?

Notons quelques traces visibles de l’invention des principes de la laïcité, de l’égalité et de la liberté fondé sur l’Être humain et sa présence dans cet atelier de l’univers :
- Du cylindre de Cyrus, le fondateur de l’Etat Perse il y a 2500 ans ;
- à Ferdowsi savant et observateur fin de ce monde, au 10ème siècle,
- aux citoyens anglais qui ont établi d’abord au 13ème siècle le principe du jury :qui dit qu’un être humain libre ne peut être jugé que par des hommes libres,
- et ensuite au 17 siècles ils ont avancé ceci : « nul ne peut demeurer détenu sinon par la décision d’un juge » ;
- Aux américains qui ont adopté comme une base sacrée pour l’élaboration de la loi constitutionnelle des Etats unis en 1787 la continuité des principes des droits de l’homme et finalement en 1789 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen devient une étoile éclatante, un texte plus que philosophique, résultat des lignes de lumières, une force incomparable, la beauté du style, la clarté politique, l’audace des bases et des principes annoncés.

3. De la symbolisation jusqu’à la non- symbolisation : un panorama des méthodes qu’ici, j’évoquerai rapidement par les quatre exemples suivants :

Des signes peuvent vivre individuellement, séparément, sans support particulier, sans aucun lien entre eux, dans différentes époques, et au sein des cultures variées. Mais, les signifiants et les symboles vivent entre eux ; ils sont sujets d'échanges, chaque symbole a un passé, il est le produit d'autres symboles et, à son tour, en génère de nouveaux. Les alphabets, les caractères du langage (musical, mathématique…) constituent un ensemble enchaîné, qui agrandit l'environnement de notre monde et de notre culture, de notre connaissance et de notre savoir. Le blanc, le vide, ce non-signe entre les signes est une chaîne aussi, une chaîne à l'infini…La signification nous vient de l'espace entre les signes. Je cherche des espaces vides et leurs significations……. Ecoutons encore quelques versets de mon poème :
Bien que de nombreux univers nous soient ouverts,
Nous sommes restés les petits habitants de notre village natal.
Dans le rêve, Dans la chimère, Dans les souvenirs,
Parmi les mots envolés, futurs ou restés sur les lèvres des étourdis,
Dans les croyances des défunts ou les sourires des gens à venir,
De nombreux univers nous étions ouverts,
Et nous sommes restés les petits habitants de notre village natal.

a. Premier Exemple : L’Expérience du voyage mystique, un exemple d’observation de la vie par des écoles mystiques du 10ème au 14ème siècles: les sept vallées :

Première vallée : La Recherche : talab : Réveil ; un être vivant entre dans la vie, il prendre la vie en main.. il va loin, il vit dans les conditions extrêmes, dans la nature de la vie : de Christophe Colomb à Gagarine sur la lune vers le ciel : par la pensée et l’imagination, à la recherche de substance de la vie nommé Latifa comme les Alchimistes
Deuxième vallée l’Amour : eshgh, Le moteur, l’énergie de mouvement ; des différentes définitions de l’amour ; le modèle de base comme Freud l’a dit ; entre l’enfant et sa mère, un état fusionnel de séparation mais aussi l’attachement, il y a un autre qui a déjà le potentiel de ne pas être un autre indéfinissable, trop proche, ce qui après le réveil nous empêche de dormir : la naissance, le renouvellement :
Troisième vallée-La Connaissance : ma’arefat , et prendre connaissance, après la naissance il y a là un moi, il y a une autre présence de chacun qui donne droit à la connaissance de l’autre, l’observation, la comparaison, la création des symboles, la castration, de l’art rupestre vers le temps- espace…
Quatrième vallée – l’Indépendance : esteghnaa ; si je suis un élément parmi les autres, j’ai la même valeur et je ne peux avoir qu’à ma taille : l’écologie, l’économie durable, … écoutons Hafez l’adorateur d’amour ; un oiseau d’un autre monde

Je suis empoussiéré de pauvreté, mais honte soit à mon haut dessein
Si je mouille le pan de ma robe à l’eau de la source du soleil ! 346-345

Cinquième vallée-l’ Union : touhid, fusion après cette connaissance, au but il y a ce sentiment d’arriver de raisonner et de résonner, il y a dans ce contexte la démarche mystique persan : hoo, que signifie lui ou il ou elle ou seulement autre, il n’y a que lui autre : hoo
Sixième vallée- le Stupeur : Hirat ; l’étonnement : la profondeur de ma place et mes yeux s’ouvre et je vois, loin et plus en plus irréversible
Septième vallée –le Dénuement : faghr va fana : la vie tout court, telle. Qu’Hafez nous la décrit ainsi :

چيست اين سقف بلند ساده بسيارنقش
زين معما هيچ دانا در جهان آگاه نيست
Qu’est ce haut plafond fixe et tout décoré?

Aucun savant au monde ne sait résoudre cette énigme.

b. Deuxième exemple: Les 7 domaines hors champ de la symbolisation: du Chaman à nos jours :
L'état visionnaire (expérience mystique), les prophéties et l'expérience de mort imminente (Near Death Experience = NDE), ces trois éléments nous viennent de très loin. Cependant, il existe des ressemblances entres les trois discours. D'une part la découverte "d'inconscient en moi" comme d'un "autre côté" de moi, d'autre part l'importance des mots et du langage comme base et structure de notre inconscient, montrent que l'utilisation des mots est l'événement qui nous a donné la qualité d'"être humain". l’avènement du mot a permis de construire notre mémoire des mots, il concrétise nos sensations, il invente des concepts qui se rejoignent aux frontières des mots".
La clef retrouvée est " le mot : Pour désigner et lier les choses entre elles via
l'espace temps" et l’effet de signifiant : sur la base des recherches de Sigmund Freud, ses élèves et surtout Jacques Lacan. A la frontière entre l'état animal et l'invention des mots, que s'est-il passé ? Pour quelles raisons avons nous besoin d'autre chose que des mots pour nous exprimer ? (par exemple la musique, l'art, la danse, etc. …). Pourquoi les grands maîtres mystiques ont-ils toujours le sentiment de ne pas être capables de relater leurs expériences ésotériques et visionnaires ? La même constatation est faite par les sujets qui ont connu des états NDE. L'ensemble de ces interrogations conduit à la même question sur la structure de la mémoire: existerait-il une couche de mémoire qui nous serait restée d’avant l'invention des mots ? Un endroit qui ne peut connaître ni le temps ni l'espace. A ce moment là "temps" signifie toujours, maintenant et éternité et "l'espace" est partout. Les trois notions de "lumière" d'"amour" et de l"autre côté" de moi forment un pont historique entre les premiers éléments mythologiques, religieux et les expériences de mort imminente (NDE).

Expérience mystique : "Je suis amoureux de mois sans moi»", cette
phrase de Rûzbehan ("Rûzbehan baqali chirazi", un grand savant et mystique iranien, est né au 12ème siècle .) a été traduite par Henry Corbin ( Chargé de mission en Turquie, puis en Iran, il fonde le département d'Iranologie de l'Institut Franco-Iranien , et révèle à l'occident un continent spirituel inconnu à travers "Histoire de la philosophie islamique en islam iranien" quatre volumes consacrés aux penseurs iraniens, Chiites, Ismaéliens et soufis. Il est mort à Paris en 1978.) Henry Corbin traduit : « c'est moi-même qui, sans moi-même, suis l'amant de moi-même ».
Le "moi" qui est le sujet d'amour dans cette phrase n'est-il pas la même partie que celle que Najm Kobra, qui a voyagé au 12ème siècle dans toute l’Asie Centrale, décrivait dans son livre "les intérêts de beauté …" : "Sache que l'âme, le démon, l'ange, ne sont pas des réalités intrinsèques à toi, tu es elles-mêmes. Semblablement, le ciel, la terre et le trône ne sont pas des choses intrinsèques à toi, ni le paradis, ni l'enfer, ni la mort, ni la vie. Elles existent en toi, lorsque tu auras accompli le voyage mystique et que tu seras devenu pur, tu prendras conscience de cela"
En vérité, l'état visionnaire peut être considéré comme un cas exceptionnel qui permet de se rapprocher de cette couche de mémoire qui existe en nous. La notion de paradis, où il n'existe ni le temps ni le lieu, comme le croyaient notamment les Celtes, a été développée dans la quasi-totalité des mythologies et des religions. A travers différents textes, le paradis est décrit comme un lieu d'éternité, un cadre de vie fleuri, verdoyant où chantent les oiseaux. Cette description n'est-elle pas une photographie de notre environnement avant l'invention des mots ? C'est ici que l'image d'Eden, du paradis, de pré-éternité se rejoignent. Autrement-dit c'est une autre idée du temps circulaire : le départ et la fin sont les mêmes : Eden et Paradis.
L'analyse de ce discours montre que cette notion de l'"autre monde" où le temps et le lieu sont "autres" existe en nous et parallèlement, notre intelligence humaine ne peut pas les concevoir. Alors par quel biais cette notion nous est-elle arrivée ?

III- Lumière, Amour : Les traces laissées dans un non-temps, non-espace,
dans ce non-lieu "Eden-terre Céleste – Paradis rejaillissement à travers deux autres
phénomènes qui se manifestent depuis des temps mythiques jusqu'à aujourd'hui : "la
lumière" et "l'Amour". La lumière est en contraste avec les ténèbres, or notre base de compréhension fonctionne grâce aux contrastes. L'amour est l'état de bien être dans cet "Eden-Terre pré-éternel, le présent et le post-éternel". Ce sentiment de bien être, cet amour sans "sujet", se traduisent par une union. Rappelons la phrase de Rûzbehan : "je suis amoureux de moi sans moi". Le bonheur se manifeste via la lumière et sans notion de temps. Ainsi selon Ibn Arabie : "l'Amour divin est un Esprit sans corps, l'Amour physique est un corps sans esprit : l'Amour spirituel possède en revanche esprit et corps"
Dans l'Evangile selon saint Jean, les quatre notions : la lumière, l'amour, la
parole et l'union se centralisent en Jésus : "pendant que je suis dans le monde, je suis
la lumière du monde" (9/5), "Moi et le Père nous sommes Un" (10/30), "Jésus leur parle
de nouveau et dit : je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas
dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie" (8/12).
Un autre cas de voyage visionnaire, expérience de mort imminente (NDE) a été
développé par le docteur Moody en 1945 et il a été depuis sujet de recherches. Ce
phénomène a été clairement résumé dans le livre "Enquête sur l'existence des Anges gardiens". Le sujet déclare toujours que ce qu'il a vécu n'est pas exprimable avec des mots
humains. Il s'entend déclarer mort ou bien tout lui semble étrange ; il se sent mort. Il ne
ressent plus aucune douleur et il se sent parfaitement détendu et calme, le sujet sort de
son corps et voit ce qui se passe autour de lui, il est aspiré dans une sorte de tunnel, il
aperçoit une lumière brillante, il se heurte à une sorte de "frontière".
Il suffit de comparer les paroles rapportées par les sujets (prophètes, mystiques,
expériences NDE) ayant connu une expérience visionnaire pour réaliser leur similitude.
Mais alors que l'expérience de mort imminente n'arrive qu'à des sujets dont la mort a
été déclarée cliniquement, l'expérience visionnaire des mystiques a besoin de la
volonté et d'une méthode directe ou indirecte pour accomplir le voyage.

IV- Hypothèse : Les verbes, les logos, le mot revêt plusieurs aspects : Il est un
moyen de communication avec "moi", avec "l'autre", il est un moyen de transmettre le
savoir et la connaissance de génération en génération, il est la base de la structure de
notre mémoire qui nous permet d'avoir la connaissance de notre inconscient.
N'est-ce pas la raison pour laquelle on dit que le Dieu a mis son esprit, l'esprit
étant le mot, en l'être humain ? Sans la mémoire des mots, la parole ne peut pas
exister. Autrement-dit la Parole – Logos - Dieu est notre capacité à mémoriser les
"mots". Avant la présence des mots qui étions-nous ? Une autre mémoire fonctionnait
et fonctionne encore par l'intermédiaire des "images", des "symboles".

En outre, notre perception du monde avant l'invention des mots ne peut être
exprimée avec les mots : un "bi-unité qui en fait échappe aux catégories du langage
humain" Il y a un autre monde, une autre mémoire, un autre langage. "Parler c'est
traduire une langue angélique en une langue humaine», toute architecture du
suprasensible passe par cette frontière entre les deux mémoires, celle des mots et celle
au-delà des mot .Le seul élément qui permet de construire une mémoire, hors la mémoire des mots, passe par la dualité "présence-absence" de lumière.
Ce qui se manifeste tantôt comme un "voyage" tantôt comme une rencontre avec
l'"Autre" et tantôt comme une représentation de la divinité (âme, esprit) peut provenir de
la même base. Cette base est à la fois en nous, une partie de notre "livre mémoire" et
aussi à l'extérieur dans notre patrimoine collectif humain, avant l'invention des mots. Une autre expérience depuis nuit des temps, celles des chamans.

Ernesto de Martino 1908 – 1965 a été professeur d’histoire des religions à l’Université de Cagliarie. Il développe une pensée originale et novatrice. Son oeuvre fait actuellement l’objet d’une redécouverte sur le plan international, dans les domaines non seulement de l’anthropologie et de l’ethnologie, mais des sciences humaines en général.
En analysant des rapports des ethnologues de son époque, il pose des questions sur les contenues des rapports réalisés par des scientifiques européens. Il questionne ces collègues on leur demandant ainsi: soit les chamans sont hors réalité et leurs discours sont l’issue de leur imaginations et soit, il y a certaines vérités en eux. Dans une œuvre colossale sur le monde magique il analyse profondément des rapports des ethnologues et il trouve un élément qui ressemble étrangement à des expériences mystiques dans Zekre : Je le cite : p 141 : « dans la danse de bison chez les Dakota, la présence du bison par le danseur et la présence effective du bison constituent , pour nous , deux trait indépendants , mais dans la conscience du danseur Dakota la qualité commune de la présence imprègne si fortement le désir et les impulsions qu’elle efface la diversité : en vertu de la pure présence vécue, les deux ordres de faits deviennent une seul et même chose. » comme cette essai d’effacement des effets de significatifs. Un autre exemple : p 143 : « Considérons, par , exemple, le Latah qui répète le bruissement des feuilles et des branches agitées par le vent. Cette forme d’imitation passive réalise pleinement la fusion affective du sujet et de l’objet : elle n’a cependant rien d’une imitation magie. »
Quelle expérience pour nous donner une autre leçon d’humilité devant les méthodes de notre propre laboratoire. Il faut plus de 50 ans pour que le génie d’un penseur sur ces questions soit reconnu.

c. Troisième Exemple : Découpage de l’être humain: la découvert de l’Inconscient

Les éléments novateurs dans l’approche de Sigmund Freud peuvent se résumer ainsi:
- mettre le corps humain avec sa psyché dans cadre anthropologique,
- donner l’importance à la mythologie, au savoir et à la connaissance orale, nommer les concepts analytiques via des signifiants mythologiques,
- ouvrir l’être humain dans ses trois dimensions : rêve, fantasme et réalité des quotidiens ,
- mettre un être humain dans le prolongement de sa naissance
- postuler l’inconscient comme un lieu psychique basé sur le refoulement depuis la toute petite enfance,
- relier l’ensemble des plaisirs humain à une seule et unique origine depuis la naissance donc oser de parler de la sexualité enfantine
- Et finalement mettre l’être humain dans son milieu culturel …

Cette intuition se retrouve en plusieurs temps et en plusieurs lieux :
- En Inde où l'on trouve encore aujourd'hui 3 sortes de médecins : Les médecins de pensée, les sages, les médecins de parole, (les chamans) et les médecins du corps, qui s'occupent uniquement du corps physique. En Europe 18ème siècle, Mesmer avec la théorie du magnétisme animal avait fabriqué des aimants en forme du cœur à poser à l'emplacement de celui-ci, en vue de soigner l'hystérie et ses effets psychosomatiques. Là aussi, on pensait que "le cœur" (la pensée) et le physique étaient liés.
- En Chine où le cœur est le centre psychosomatique :" Le cœur est le roi du corps".
- Dans l'Egypte antique en revanche, le cœur était le siège de la pensée et de la raison. C'est paradoxal par rapport aux autres visions déjà rencontrées où interviennent les - sentiments.
- Comment est perçu le cœur en Islam ? Il est l'organe vital, il jouit d'une triple interprétation, organique, spirituelle et mystique. Dans la poésie persane, il y a en permanence une lutte profonde entre "moi" et le cœur. Par exemple : "je souhaite avoir "le cœur libre de moi et de nous" ou bien "je pleure pour mon cœur et il se moque de moi ». Dans la langue persane, j'ai dénombré à ce jour au moins 166 mots construits avec le signifiant "DEL" qui signifie "le cœur" non physique, mais la partie métaphorique du cœur.
En effet, autour des deux concepts "Cœur" et l"inconscient", nous trouvons presque partout une idée que je ne développe (pas ?) ici. Cette idée est l’un des sujets de mes recherches présentés dans mes articles qui souligne que dans plusieurs laboratoires culturels de nos cultures variés, il existe déjà le sentiment qu’il y a un lieu psychique comme centre de nos sentiments, nommé cœur.
d. Quatrième Exemple: de l’Art rupestre à la calligraphie :

Les Perses ont changé leurs écritures cunéiformes contre l’alphabet Arabe. Cet alphabet de moins de trente caractères était essentiellement constitué des tirets uniformes qui se rencontraient avec des angles de quatre vingt dix degrés. Pendant quinze siècles les Perses ont apporté deux modifications majeures : l’épaisseur des tirets a évolué et les angles sont devenus variables ; par la suite un jeu d’harmonisation des courbes a pris la place des tirets et des angles.
Pendant des siècles, avec patience et passion, les maîtres de la calligraphie Persane ont voulu mettre en harmonie cette calligraphie avec la totalité de la culture Perse . Les artistes contemporains Iraniens, via l’invention d’une `` calligraphie - peinture `` , nous permettent de saisir la beauté et la finesse de cette écriture . L’industrie de l’édition , l’imprimerie et les traitements de texte n’ont pas aidé à l’avancement de ces recherches calligraphiques .
Se laisser aller à l’influence des caractères, en se libérant du temps ; nager dans ces signes , être touché par la pluie des mots ; laisser le temps prendre en jeu des phrases et des vers ,voilà ma passion qui se livre à vos yeux .
Où sont ces caractères coulants des mains des maîtres d’il y a mille ans dans des livres manuscrits ? Où sont ces mots brûlés par les Mongols ? Où sont ces poèmes perdus dans les déserts , fondus dans l’imaginaire et les nostalgies d’un peuple ? Où sont ces courbes : grâce aux quelles un peuple voit le miroir de l’univers.
Je les cherche .........
Je vous propose de jeter un coup d’œil sur la récente recherche sur l’origine de l’écriture qui nous donne une clé très intéressante et confirme à la fois mon intuition, il y plus de vingt ans, et la méthode que même les maîtres calligraphies persans, essaient de formuler leur art comme un outil pédagogique. Encore une fois, une autre preuve, qui montre que le processus de découvert par notre intuition et par la science ne sont que complémentaires pour ce qui touche à l’humain. Ce qui nous avons découvert par une méthode rigoureuse ; un calcul poussé par une technologie très avancée, a été perçu par ces maîtres avant.
D’abord et rapidement le résultat du travail de Changizi, chercheur américain Une analyse strictement visuelle des écritures : je le cite : « L’Homme se débrouille pour lire et écrire avec un cerveau qui n’a pas été fait pour ça » Via l’étude approfondie des cerveaux des singes courant les années 90.Ils constatent: « L’existence dans le cerveau des singes d’une sorte de dictionnaires cortical des formes élémentaires. Une véritable mosaïque permettant de coder toutes les formes élémentaires retrouvées dans la nature.. Combinant ces formes élémentaires codées dans notre cerveau: Un véritable alphabet pour d’écrire les objets. »

4. Et en guise de Conclusion :
Ce que je cherche, par cette sensibilité, est l’illustration de la cohérence et l’harmonie de cette image « d’un monde parallèle », par la calligraphie, la peinture, l’image de l’architecture dans la peinture, l’image des dessins et des courbes dans la calligraphie, les courbes des dômes dans les alphabets, et peut être dans l’avenir, les traces les plus profondes des symbolisations : des traces de l’art rupestre dans ces signes et ces symboles.

Les laboratoires des connaissances et des constructions de nous mêmes et l’autre sont à l’infini, simplement pour notre temps : Sigmund Freud a fait entrer le rêve et le fantasme dans les champs d’étude; Ernest De Martino ; a fait entrer le discours de chaman. Il ne faut pas à hésiter d’inventer des laboratoires, ils vont trouver leurs places dans l’avenir, le travail, l’invention, s’y perdra pas.

Vivons avec notre être pour devenir :

Je finis avec des poèmes de notre recueille de 100 poésies :
« Piano à quatre mains » écrit avec mon épouse :
38
C’est un arc en ciel de sept couleurs la vie,
Des sept couleurs de l’arc en ciel sont l’essence de la vie.
L’effort, la joie, la passion, l’amour, la compassion, l’objectif et l’élaboration.
42
Jusqu’à la naissance,
Le regard de la mère lie le passé à l’avenir,
Une fillette souriante, avec la perle de son cœur,
Capte le regard,
Et le jardin devient printemps avec une mélodie joyeuse.
43
Le regard palpite jusqu’à plus soif de perception,
Soudain une fenêtre prend son envol,
Et ton ciel me retrouve.
59
Ces mots sereins,
Les Briques de la petite cabane de ma vie :
Travail, Se promener, Embrasser, Le Silence, Caresser, Souhait, Amour, Aimer.

Merci.

Topologie des lieux saints: article publié in Célibataire revue psychanalytique Paris

in Célibataire revue Psychanalytique Paris

L’effet du temps parallèle dans l’architecture des lieux saints chi’ites en Iran

Notre étude concerne l’ensemble des lieux saints chi’ites iraniens et plus particulièrement l’architecture de ces lieux telle qu’elle est choisie à partir du quinzième siècle de notre ère, époque où la religion chi’ite est devenue religion officielle. En effet, ces sites situés dans des localités qui n’ont pas la même influence historique, politique et économique ont tous une structure de base identique.

Les lieux religieux en Islam chi’ite et sunnite sont de différents ordres :

  • La Mecque : lieu saint par excellence, la maison de Dieu, direction de la prière
  • quotidienne,
  • Les bâtiments liés à la vie du prophète et sa mosquée,
  • Les tombes du prophète et de ses proches,
  • Les écoles coraniques,
  • Les lieux de prières et les lieux utilisés à des moments précis de l’année pour des cérémonies religieuses,
  • La structure des tombes identifiées des imams chi’ites et de leur descendance telle que les pratiquants chi’ites la conçoivent,
  • Ces tombes se situent principalement en Iran, en Iraq et en Syrie.

Pour plus de commodité, le terme « lieux saints » sera utilisé dans cette étude. L’objet de celle-ci porte sur la dernière catégorie et ses liens avec la culture persanne.

Dans l’Iran sunnite (jusqu’au 15ème siècle), ces lieux saints n’avaient pas de conception particulière. Lorsque le Chi’isme devient la religion officielle en Iran, les tombes des imams et de leurs descendants deviennent des mausolées ayant une structure architecturale définie.

Il faut dissocier les onze imams morts du douzième imam (« imam caché », "maître du temps ») qui est considéré comme vivant. La notion d’imam caché fait un pont entre la notion mythologique de « temps parallèle » et la possibilité, pour un être humain, de vivre des centaines d’années. Les saints, morts ou vivants, sont dans un monde qui n’est ni notre monde charnel actuel, ni le monde « autre » (divinités). D’après la croyance chi’ite, il s’agit d’un monde où les habitants jouent un rôle d’intermédiaires entre les deux mondes. La présence de ce temps (ou monde, ou climat), dans la mythologie et la culture persane est ancienne (cf. Henry Corbin : corps spirituel et terre céleste ).

L’influence de l’islam, au 8ème siècle ap. J.C., entraîna la disparition des anciennes religions, mais cette troisième surface, ce « mondus imaginalis » demeura : il abrite les saints (descendance de la fille du prophète et de son cousin, premier imam, non reconnus en tant que tels par les sunnites). Les saints sont symbolisés comme les différents archanges de la mythologie persanne ; ils occupent une place particulière dans la culture chi’ite-persanne.

Or, dans les lieux saints, les fidèles chi’ites trouvent conjointement la présence de ce « temps autre » plus ancien et celle d’un lien avec le Prophète à travers la descendance de sa fille unique, Fatima. Henry Corbin pense que Fatima représente, dans une certaine mesure, la terre céleste (l’archange de la terre pour les iraniens d’avant l’islam).

Notre regard sur la question de la topologie des lieux saints est fondé sur ces principes : comparaison d’un sujet avec un tore, en s’intéressant particulièrement aux aspects intérieur et extérieur d’une part, au rôle du temps parallèle dans la culture persane d’autre part.

Le tore

D’après la représentation topologique de Jacques Lacan, un sujet est constitué comme un tore. Le corps du sujet est le corps du tore, l’intérieur du tore est comme l’âme du sujet et l’extérieur du sujet est le monde extérieur (Figure 1).

Figure 1: le Tore

 

Si l’on fait un trou sur le corps du tore et que l’on entre notre main à l’intérieur, on parvient à faire sortir le corps (selon Lacan : retournement du tore). On obtiendra encore un tore, mais ce qui était à l’intérieur se trouvera à l’extérieur et vice-versa (Figure 2).

Figure 2: retournement du tore.

En effet, pour mieux exprimer notre démonstration du retournement du tore, on peut imaginer, par métaphore bien entendu, que le tore central fait une base pour que chaque tore –sujet se lie à lui. Cela nous permet de voir qu’après le retournement du tore de base, l’ensemble des autres tores se trouvent à l’intérieur (Figures 3a et 3b). La différence du retournement du tore de base avec celui d’une sphère se manifeste dans ce détail. Le retournement d’une sphère ne

permet ni des liens entre des sujets et la base, ni cette manifestation interne-externe (cf.. J. Lacan : Séminaire « le moment de conclure, », les leçons du 14 et 21 Mars 1978).

Figure 3a: avant retournement

Figure 3b: après retournement

Le rôle du temps parallèle

Les éléments de base sont : le moi céleste, la terre céleste, le huitième climat, le temps parallèle et les trois modalités de perception : conceptuelle, sensuelle et « mondus imaginalis ». Henry Corbin a fort bien saisi et retranscrit ces notions :

- « Rencontrer la terre », non point comme un ensemble de faits physiques, mais dans la personne de son Ange : c’est là un événement essentiellement psychique qui ne peut avoir lieu ni dans le monde de concepts abstraits impersonnels, ni sur le plan des simples données sensibles. Il faut que la Terre soit perçue non point par le sens, mais par une image primordiale ; parce que cette image porte les traits d’une figure personnelle, elle s’avérera être un symbole de la propre image de soi-même que l’âme porte en son fond intime ».

- « L’orientation dans le temps : les différentes manières dont l’homme approuve sa présence sur terre, la continuité de cette présence dans quelque chose comme une histoire et la question de savoir si celle-ci a un sens … Or, un des leitmotiv de la littérature du soufisme iranien, c’est la quête de l’Orient … d’un Orient dont nous comprenons d’emblée qu’il n’est ni situé, ni situable sur nos cartes géographiques. Cet Orient n’est compris dans aucun des sept climats (les keshnar) … « il est en fait le huitième climat : Cet Orient mystique suprasensible, lieu de l’origine et du retour, objet de la quête éternelle, est au pôle céleste ».

« L’orientation est un phénomène primaire de notre présence dans ce monde. Le propre d’un être humain est de spatialiser un monde autour de lui et ce phénomène implique une certaine relation de l’homme avec son environnement, cette relation étant déterminée par le mode même de sa présence dans le monde. Les quatre points cardinaux, Est, Ouest, Nord et Sud ne sont pas des choses que rencontre cette présence humaine, mais des directions qui en expriment le sens, son acclimatation à son monde, sa familiarité avec lui. Avoir ce sens, c’est s’orienter dans le monde. Les lignes idéales d’Orient en Occident, du septentrion au midi, forment un réseau d’évidences spatiales à priori, sans lesquelles il n’y aurait d’orientation ni géographique ni anthropologique … ».

- « Quel que soit le nom qu’on leur donne, les événements qui déterminent la relation avec le guide personnel invisible, ne tombent pas dans le temps physique quantitatif ; ils ne sont pas mesurables par les unités de temps de la chronologie, homogènes et uniformes, réglées par les mouvements dés astres ; ils s’accomplissent dans un temps certes, mais un temps qui leur est propre, ce temps psychique discontinu, qualitatif pur, dont les moments ne peuvent s’évaluer que selon leur propre mesure, une mesure qui varie chaque fois avec leur intensité même. Et cette intensité mesure un temps où le passé reste présent à l’avenir, où l’avenir est déjà présent au passé, de même que les notes d’une phrase musicale, énoncées successivement, n’en persistent pas moins toutes ensemble au présent pour constituer précisément cette phrase ».

La synthèse de ces différentes notions peut s’exprimer ainsi :

- d’après la croyance des perses, notre vie dans ce temps est accompagnée par une autre vie, la vie de notre âme qui vit parallèlement dans un autre monde (la terre céleste), dans un « temps parallèle ».

- la présence de ce temps parallèle et nos relations avec cet « autre monde » dans la culture et la vie quotidienne avant l’islam, se manifestent soit par l’apparition des différentes écoles ésotériques en Iran, soit par l’ensemble des croyances et traditions qui existent dans la foi chi’ite iranienne.

La croyance Chi'ite

Deux principes fondamentaux différencient le Chi’isme des autres tendances islamiques :

- la croyance en la justice de Dieu :

- la présence des douze Imams : le premier, cousin et gendre du Prophète, ses deux fils et ses neuf petits fils. Le douzième Imam, fils « caché » par son père (le onzième Imam) n’est pas mort : il vit « caché » parmi les chi’ites mais il est absent de leur vision et ce depuis le 9ème siècle ap J.C. Cet Imam n’a pas eu de descendance.

Les Saints (les douze Imams et leurs enfants) sont omniprésents dans la vie quotidienne des fidèles. Parfois les croyants font un don pour que les saints interviennent directement auprès de Dieu. Ils sollicitent leur aide morale et physique, ils demandent la réalisation de miracles ou d’événements hors du commun. Ils jurent sur les saints et les prennent à témoins.

L'architecture des lieux saints en Iran

A pour base une coupole et deux minarets (Figure 4):

Figure 4: lieu saint en Iran

 

- Il existe des bâtiments annexes réservés aux prières, au repos des pèlerins, ainsi qu’aux écoles, aux bibliothèques, aux dortoirs des étudiants et aux musées.

- Si on regarde de l’extérieur la coupole en faïence, la couleur bleue domine. La légende raconte que les artistes du 16ème siècle avaient créé 200 tonalités de bleus. Cependant, à titre exceptionnel, des coupoles de mausolées récents ont été recouvertes d’or : il s’agit de ceux des imams les plus respectés.

Figure 5: plan d'une tombe

-Le cercle d’azur est une image poétique qui compare le ciel avec une coupe de vin couleur d’azur, ce qui en même temps ressemble à une coupole inversée.

-A l’intérieur, les murs sont recouverts de morceaux de miroir et par l’effet d’une lumière centrale, la luminosité est particulièrement remarquable.

-La décoration intérieure et extérieure est constituée de faïence, de calligraphies des versets du Coran, de prières, de noms de Saints. Il n’y a ni dessins, ni photographies, ni statues.

-La tombe du Saint, protégée par des cubes et des grilles, se situe au milieu du grand hall (Figure 6).

Figure 6: la tombe du saint

Voici quelques éléments de base qui montrent l’essentiel des relations entre fidèles et lieux saints :

  • entrée et sortie : pour entrer, ils se déchaussent, ils gardent toujours le visage en direction de la tombe ; pour sortir, ils reculent et embrassent les différentes portes d’entrées ainsi que les quatre côtés de la tombe.
  • il existe des prières propres à chaque lieu qui, à priori, dépendent de l’histoire du saint, des légendes concernant des caractéristiques de son père ou de ses pouvoirs.
  • certains jours de la semaine, ou certaines heures dans la journée, sont consacrés à la visite de chaque lieu saint.
  • les visiteurs donnent leurs bijoux, ou directement de l’argent, qu’ils lancent dans la tombe
  • il existe une croyance et une forte demande pour résoudre les problèmes qui ont besoin de forces extérieures et d’interventions particulières, comme les maladies graves ou la résolution des problèmes familiaux.
  • Les fidèles vont jusqu’à protester et même boycotter le saint si leur demande n’est pas satisfaire ou pire, si le même type de demande est accepté pour d’autres.
  • Si leurs demandes sont satisfaites, les fidèles offrent encore de l’argent ou des bijoux.
  • Les saints sont présents dans les rêves des fidèles : ils les conseillent, les consolent, leur donnent des leçons de morale, des solutions à leurs problèmes ou les préviennent des événements importants.
  • Les saints sont le centre des serments : ils sont pris en tant que témoins pour toutes sortes de jurements.
  • Dans la vie quotidienne, pour faire des efforts psychiques et physiques particuliers, les fidèles font sans cesse appel aux saints. Pour les efforts physiques notamment, ils appellent le gendre du prophète, homme fort de toutes les batailles saintes et demandent aussi de la patience au troisième Imam, symbole de paix.
  • Certains lieux saints sont en même temps des lieux de méditation.

En conclusion

Les saints, morts ou vivants (le douzième Imam caché), vivent dans un « temps parallèle » : ils entendent les fidèles, les voient et s’ils le souhaitent, peuvent les aider. Ils savent tout, sont capables de tout faire, sont présents partout. Ils sont maîtres du temps.

Les fidèles les traitent avec beaucoup de respect, comme s’ils étaient vivants. Souvent, les titres de sultan, roi, roi des rois, haute majesté, ont été utilisés pour eux. Ils les situent entre la vie charnelle et l’éternité, comme s’ils avaient des relations avec les deux côtés.

La hiérarchie est absente des lieux saints, femmes, hommes, enfants, riches et pauvres sont traités de la même manière, car le lieu saint est comme un intérieur collectif hors du temps, différent des autres lieux, intermédiaire avec l’éternité accessible à tout le monde.

L’amour et le bien-être étant liés à l’ouverture du territoire de l’inconscient, le lieu saint est aussi comme un territoire collectif : le tore donne donc la possibilité d’ouvrir dans ce « temps parallèle » un état de bien-être, symbole d’unité collective (Figures 7 et 8)

Figure 7:

Figure 8:

Ainsi, le lieu saint fonctionne comme un retournement du tore collectif : le bleu intérieur, celui du ciel dans la vie quotidienne, est à l’extérieur ; la faïence bleue de la coupole et la lumière extérieure du soleil reflétée par les miroirs, se trouvent à l’intérieur.

Peut on se libérer des préjugés pour mieux comprendre Khayyâm

Peut-on se libérer des préjugés pour mieux comprendre Khayyâm?

Essai, par Hassan Makaremi - 2013

Intégrant la totalité des quatrains de Khayyâm

Traduit par : Charles Grolleau

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Sublimation

Le regard du passionné et l'écoute de l'Analyste

"ça vous plaît ? c'est moi qui l'ai fait"

Considérons une œuvre d'art et le phénomène de sublimation. Une pulsion sublimée est comme toute pulsion, affublée d’une source et d’un objet. Il y a une adresse, un endroit où aller, un porteur de message, quelque part un lieu "autre", comme une découverte de "quelque chose" ou "une autre chose".

En résumé, une œuvre d'art, ce sont des images et des formes signifiantes nouvellement créées, comme par exemple :

  • Picasso, qui nous ramène au regard de nos ancêtres,
  • Dalí, qui nous dévoile la magie du rêve
  • Van Gogh, qui fait ressortir l'énergie au fond du tissu des matériaux et fait surgir le réel en mouvement.

Une visite au musée Goya à Madrid nous révèle parmi de très grandes œuvres, des portraits, des scènes de chasse, des paysages parfaits, et un tableau qui nous transperce : le regard d'un condamné à la fusillade dont les yeux ne sont pas dessinés, mais seulement esquissés par deux tâches noires.

Il nous dévoile "un regard" saisi dans un instant particulier, entre la vie et la mort, et privé d’yeux. La définition de la sublimation peut se résumer à une activité d'origine sexuelle, désexualisée par le biais du narcissisme orienté vers l'idéal du moi.

La sublimation est semblable à l'expérience de Narcisse où l'image du moi se reflète dans un miroir, comme si l'artiste se situait à la place d'un appareil photographique et que l'œuvre devenait la photo. Dans ce cas, la qualité de l'appareil est jugée au vu de la qualité de la photo : "ça vous plaît ? C'est moi qui l'ai fait".

Avant l’avènement de l’art moderne et l'invention de l'appareil photographique, les peintres classiques avaient cette obsession du perfectionnisme. Ici, c'est plutôt l'image inconsciente du corps de l'artiste qui est directement concernée. C'est une réponse à la question : "comment je suis ?"

Plus tard, dans toutes les œuvres modernes, des idéaux sociaux et humains se manifestent comme réponse à cette question : "comment je suis dans ce monde ?". Peut être, ce besoin des artistes d'exposer leurs œuvres et de discuter avec les visiteurs des galeries peut-il se résumer ainsi : sentir l'impact de l'image idéale du moi sur les autres.

Au sujet des idéaux sociaux et humains, on peut citer l'ensemble des œuvres d'art évoquant la notion de paradis, l'Eden, l'utopie dans les cultures chinoise, persane, indienne sous des formes variées comme les dessins des tapis ou les miniatures.

Concernant les œuvres artisanales, il n'y a pas création nouvelle de formes mais elles n’en sont pas moins belles. Un artisan ne fonctionne pas comme un miroir mais comme une mémoire. Il n'y a pas de message, ni d'objet de pulsion mais une copie de l'écriture. Comme un livre manuscrit et recopié, l'œuvre artisanale est produite en plusieurs exemplaires sans être destinée à un acheteur particulier. A contrario, le premier acheteur d'une œuvre d'art est souvent très important pour l'artiste.

Les dessins d’enfants sont quant à eux un acte spontané, un flash semblable à une pulsion rapide. Un dessin d'enfant est fait pour quelqu'un ou aborde un sujet bien identifié, il est d'une transparence presque totale. Est-ce la raison pour laquelle faire parler des enfants au sujet de leurs œuvres est une voie de cure ?

Des exemples de l'image inconsciente du corps se voient directement, comme le nombre des doigts de la main dans leurs dessins.

Un collègue m'interpella sur ses récentes observations de dessins de psychotiques. Il me dit, je cite : "il me semble que là, il manque quelque chose". Je peux avancer quelques idées en comparant les œuvres artistiques issues de sublimations avec les dessins des psychotiques.

On relève un certain manque d'intérêt du psychotique pour exposer ses œuvres. Il n'y a pour lui ni plaisir, ni volonté dans l'acte de dessiner, et il n'y entreprend pas non plus de recherche sur la beauté et l'harmonie. Mais il y a un lien direct avec l'image inconsciente du corps qui est très parlant. Ainsi, une femme handicapée d'une main et psychotique, dessine une main qui a deux pieds et marche à côté du corps du sujet.