Interview journal Libération 29 novembre 2010

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 «Ce qui est aussi inacceptable pour les religieux, souligne le chercheur et psychanalyste Hassan Makaremi, c’est qu’Ahmadinejad, en se plaçant sous l’autorité de l’Imam caché [le douzième imam du chiisme, caché selon la tradition depuis 941 et qui doit revenir à la fin des temps, ndlr], sous-entend que l’Iran n’a pas besoin des religieux pour gouverner.» Mais, souligne-t-il, d’autres points séparent les deux camps :«Khamenei et Mesbah Yazdi pensent que les révoltes arabes sont le prolongement de la révolution islamique iranienne de 1979, alors que Mashaie admet que le mouvement peut procéder de certaines demandes démocratiques de la population.»

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Le mauvais sort d’Ahmadinejad Récit La contestation démocratique écrasée, les clans au pouvoir en Iran se déchirent: les religieux proches du Guide suprême s’en prennent à l’entourage d’un président qu’ils disent «envoûté».

Par JEAN-PIERRE PERRIN

Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le 29 novembre 2010 à Téhéran. (© AFP Behrouz Mehri) Mahmoud Ahmadinejad a-t-il été envoûté et dirige-t-il l’Iran avec les djinns, les yogis ou les sorciers ? C’est ce que lui reprochent depuis plusieurs semaines les courants religieux iraniens les plus conservateurs qui visent en particulier son âme damnée, Esfandiar Rahim Machaie. L’attaque a été portée notamment par l’ayatollah Mohammad Taqi Mesbah Yazdi, qui, c’est l’une des surprises de cette affaire, passait jusqu’alors pour le mentor et le guide spirituel du président iranien. Dans la presse, le religieux a reproché ouvertement à Mashaie de tenir Ahmadinejad «dans sa main» : «J’ai dit à des amis proches qu’il a été envoûté à 90% […]. Je ne sais pas s’il s’agit d’hypnotisme, d’envoûtement, de relations avec des yogis […] mais il y a quelque chose d’anormal.» Le Président «a dix amis, en met neuf de côté, et justifie tout ce que fait le dixième», a-t-il déploré dans une allusion claire à Mashaie, lui reprochant aussi de vouloir créer «une organisation franc-maçonne». L’affaire a déjà conduit plusieurs proches de Machaie, présentés comme des «sorciers», en prison. L’un d’eux, Abbas Ghaffari, a été décrit, selon le site iranien Ayandeh.com, comme«un homme avec des capacités spéciales dans le domaine de la métaphysique et avec des relations avec les mondes inconnus». A travers cette nouvelle bataille qui saisit l’Iran, à présent que le camp réformateur a mordu la poussière, que ses deux ténors Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi sont en liberté surveillée, se dévoilent deux factions qui, le danger d’un renversement prochain du régime étant écarté, aspirent à en découdre. Première faction : celle d’Ahmadinejad et de Machaie, le dauphin du président et dont le fils a épousé sa fille. Les deux hommes veulent un Iran débarrassé de la caste des religieux réactionnaires hostiles à toute modernité. Pour porter l’offensive, Mashaie joue le rôle de boutefeu en tenant des propos ultranationalistes qui exaltent la culture iranienne préislamique ou en défendant l’existence d’«une école iranienne de l’islam», cequi fait hurler les ayatollahs. Il est aussi libéral sur certaines questions culturelles et aurait même déclaré, en 2008, que «l’Iran était l’ami du peuple israélien», fâchant un peu plus certains hauts religieux qui ne sont pas exempts d’antisémitisme. A l’inverse, la faction des religieux, qui contrôle la justice, ne veut au contraire ne rien céder. L’ayatollah Mesbah Yazdi souhaite même que les clercs contrôlent 100% du pouvoir. Aussi, Mashaie est-il perçu comme une menace. D’où l’actuelle contre-offensive dans le but d’arriver au moins au limogeage de Mashaie, accusé aussi de «déviationnisme» et hérésie, deux charges très graves… Barbouzes. Dans ce conflit, la question du contrôle des services secrets est essentielle. Ceux-ci ont la haute main sur les élections. D’où le récent limogeage du ministre du Renseignement, Heydar Moslehi, par Ahmadinejad au grand mécontentement des religieux. Raison de cette mise à l’écart : le chef des barbouzes avait lui-même tenté de se débarrasser d’un adjoint de Mashaie. C’est alors que le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a fait irruption dans la mêlée en imposant son veto à ce limogeage d’un homme qui est proche de lui. Ce coup de frein à la mise sous tutelle de tout l’Iran par Ahmadinejad a été évidemment salué par tout le camp ultraconservateur. Pour Ahmadinejad, le choc a été rude. Au point qu’il a disparu de façon spectaculaire pendant douze jours, ce qui a accrédité l’idée qu’il était en pleine dépression nerveuse. Depuis, il est revenu mais il bat désormais pavillon bas. Il a ainsi répondu aux injonctions de la majorité conservatrice du régime qui avait violemment dénoncé sa rébellion en faisant, ces derniers jours, une allégeance marquée à Ali Khamenei. Élections. Derrière cette guerre entre factions, entre le Président et le Guide, se profilent les élections législatives de 2012 qui prépareront la présidentielle de l’année d’après. Ahmadinejad ne pouvant plus solliciter de troisième mandat, c’est Mashaie qui veut entrer en piste. Inacceptable pour les religieux. D’où la bataille pour contrôler le Parlement. «Ce qui est aussi inacceptable pour les religieux, souligne le chercheur et psychanalyste Hassan Makaremi, c’est qu’Ahmadinejad, en se plaçant sous l’autorité de l’Imam caché [le douzième imam du chiisme, caché selon la tradition depuis 941 et qui doit revenir à la fin des temps, ndlr], sous-entend que l’Iran n’a pas besoin des religieux pour gouverner.» Mais, souligne-t-il, d’autres points séparent les deux camps :«Khamenei et Mesbah Yazdi pensent que les révoltes arabes sont le prolongement de la révolution islamique iranienne de 1979, alors que Mashaie admet que le mouvement peut procéder de certaines demandes démocratiques de la population.» Actuellement, toute la pression du clergé traditionnel s’exerce sur Ahmadinejad pour qu’il lâche Mashaie, condition nécessaire pour qu’il puisse finir son mandat en paix. Pour le moment, il n’a pas cédé. Mais il apparaît très affaibli par la guerre en cours qui l’a vu perdre le soutien de son mentor, le terrifiant ayatollah Mesbah Yazdi. On l’a vu lors de récentes manœuvres des pasdaran (Gardiens de la révolution), où il n’a même pas été associé.