Phase finale

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Mourir, être malade, loin de chez soi, isolé mais sans être seul:

Quel est le souhait d’un malade en phase terminale à l’hôpital, d’origine musulmane, et loin de chez lui, sachant que sa culture, sa langue, sa religion sont différents ? Voici la question qui m’a motivé, en tant que psychanalyste d’origine musulmane, pour réfléchir et préparer cet essai. J’ai également consulté plusieurs amis d’origine musulmane et de cultures différentes. Citons en guise d’introduction quelques unes des phrases phares recueillies:

Omar me dit : "L’hôpital ne signifie pas la même chose pour nous",

Hamed précise : "Chez nous on va à l’hôpital pour guérir et pas pour mourir",

Memmad sourit et dit : "Il y a tellement de gens autour du malade qu’on considère l’événement comme sa troisième fête".

Et je repense à ce poème qui m’est venu à l’esprit dès que je commençai à préparer cet article:

"Mettez mon cercueil sur un sommet, peut être que le vent amènera mon odeur dans mon pays". Je regrette de n'avoir pu discuter de ce sujet avec des amies musulmanes. Peut-être leur sensibilité les freine-t-elles pour en parler. Pour aborder ce question, voici les étapes que je souhaite suivre :

  • - Les musulmans d’aujourd’hui et les pays musulmans,
  • - L'Islam, ses principes et ses tendances,
  • - La structure de la société et les relations sociales,
  • - Le malade et ses proches, les rituels et les cérémonies,
  • - Entendre, amour et liberté comme conclusion.

Les musulmans d’aujourd’hui et les pays musulmans:

On dénombre plus d'un milliard de musulmans dans le monde, répartis sur plusieurs pays et d'origines différentes, arabes mais aussi non-arabes. On constate que les notions de pays arabes ou musulmans ne sont pas correctes. L'influence de la culture de base musulmane n'est pas vécue ou appliquée de la même manière dans chaque région. On trouve aussi bien les pratiquants, que les croyants traditionnels ou les intégristes fanatiques islamistes.

Si l'intégriste est un croyant inconditionnel de sa religion, si le fanatique va jusqu'à l'excès, l'islamiste est assimilé aujourd'hui à l'intégriste fanatique musulman. Pour l'Islam, nous sommes issus d'Allah et à notre mort nous retournons vers lui.

L'Islam, ses principes et ses tendances:

 Tout d'abord Allah a pour l'Islam une définition particulière. Il ne saurait être assimilé au Dieu des autres religions. Le Coran est d'après le prophète une révélation qui englobe et résume les mythologies de la Thorah et de l'Ancien Testament en y ajoutant des textes applicables à la vie quotidienne. Les principes de base y sont: l'unicité de Dieu, le prophète est son messager, il y aura un jugement au dernier jour.

Structure de la société et relations sociales:

Selon le dicton," un Cercueil léger va au paradis". En d’autres termes, un cercueil léger est le signe que la personne a été accompagnée par plusieurs individus jusqu’au cimetière et qu'elle était aimée des autres.

Dans la structure de la société, le respect des anciens est tellement important qu'il n'existe pratiquement pas de maisons de retraite ou de long séjour, car les personnes âgées doivent être prises en charge par la famille. Il serait malvenu de les placer ailleurs.

La présence des personnes âgées au foyer permet à tous les âges une familiarisation à la mort et l’acceptation de la mort comme partie intégrante de la vie.

Leur présence représente un échange de culture et de sagesse, un lien entre les générations, une aide aux tâches quotidiennes, crèche, garderie etc. C'est aussi une certaine garantie pour la continuité de la famille.

La présence au cimetière est traditionnelle les vendredis ou certains jours particuliers afin de ne pas oublier le caractère passager de notre séjour sur terre.

D'où l'importance de mourir chez soi et de voir des proches enterrés dans un même lieu, qui soit un lieu de passage pour que les gens prient pour les morts.

Dans les pays musulmans, l'hôpital est une structure importée de l'occident qui ne repose sur aucun support religieux. Il y est très difficile de concilier les impératifs médicaux (heures de visites délimitées) avec la coutume qui veut que l'on rende visite à toute heure au malade "chez lui".

Le malade et ses proches, les rituels et les cérémonies :

Dans la culture musulmane, on rencontre beaucoup de retenue dans l'expression de la douleur. Celle-ci est le plus possible dissimulée. La relation du sujet avec son corps se fait toujours discrète et retenue ; c'est une affaire personnelle et privée dont on ne parle pas ou peu, même avec ses proches.

Les proches du malade se mettent à son écoute en phase finale et ils l'accompagnent en résolvant les problèmes matériels. Tous les soucis suscités par son état sont remis entre les mains d'Allah. Les proches l'implorent pour l’avenir du défunt après la mort. Ils racontent des souvenirs agréables du passé.

Ils se réunissent en repas collectifs en présence du malade pour que la vie continue. Après la mort, le défunt est lavé et habillé d'un tissu blanc non cousu, en signe d'égalité dans la mort. L'enterrement religieux est obligatoire pour tous et le cercueil est obligatoirement porté sur les épaules. Il est enterré le regard tourné vers la Mecque et sa tombe porte ses dates de naissance et de mort.

En signe de deuil, les proches portent des vêtements noirs pendant des périodes déterminées en fonction de leur degré de parenté. Prenons trois exemples d'accompagnement d'une personne en phase finale.

1 - Un village Kurde de Turquie

Jour et nuit, le village veille à côté du mourant, les femmes le jour, les hommes la nuit. On l'accompagne réellement, on écoute ses mots, on s'occupe de lui comme d'un enfant. Les voisins partagent la souffrance de ses proches. La chambre du mourant se remplit de monde, le soir des hommes et dans la journée des femmes.

Comme à sa naissance, on récite le Coran pour l'aider à mourir. On assiste à des animations, les gens plaisantent et racontent des souvenirs. Une fois la mort venue, il faut prévenir la famille lointaine, tandis que les voisins s'occupent de creuser la tombe. On lave le mort, on donne à manger aux participants, on parle de lui, des souvenirs. Les proches chantent comme on chante sa vie. Ainsi, pour l'individu qui sait d'avance le déroulement de toutes ces cérémonies, y ayant participé auparavant pour d'autres, il est plus facile de mourir.

Les gens rendent visite à sa famille. Le quarantième jour après sa mort,un deuxième repas est organisé au cours duquel on récite le Coran. Puis, après que la première neige soit tombée, la pierre définitive est posée sur la tombe. Le troisième repas aura lieu sur celle-ci.

2 - L'Afrique noire et la confrérie musulmane

On retrouve une certaine pudeur pour exprimer les douleurs et évoquer la souffrance. A l’approche de la mort, l’individu devient sensible aux interdits (vin, etc.). Au cours d’une cérémonie de 40 jours de cérémonie, le Coran est récité. Après la mort, le corps est lavé (ablution), mais on ne doit pas le regarder. Les hommes vont à la mosquée tandis que les femmes restent à la maison. La famille donne aux pauvres et visite les cimetières les vendredis matin. Les tombes sont nettoyées.

3 - Kaboul, il y a 20 ans déjà

A Kaboul, on meurt à la maison, chez soi, et on laisse parler le mourant comme il le souhaite. Il dit ce qu'il a envie de dire. Même si le mourant est à l'hôpital, on fait "comme à la maison", on plaisante, on parle… Après la mort, sur la tombe, on propose des gâteaux aux personnes présentes. On peut acheter des prières pour les proches décédés ou payer quelqu'un pour faire un pèlerinage à sa mémoire.

Conclusion : Entendre, amour, liberté

Comparons deux phrases-types d'un aide-soignant à l'hôpital, s'adressant à un malade d'origine musulmane: "Vous, vous ne mangez pas ça chez vous ?" et "si vous souhaitez manger dites-moi ce que vous aimez ?" Dans la première on entend : "Vous êtes diffèrent, je sais que vous êtes différent, vous voulez manger, mais vous ne mangez pas comme nous. En plus je connais vos coutumes et tout ça m'embête, parce qu'il faut que je m'organise autrement".

Et dans la deuxième phrase on entend : "Vous êtes libre d’avoir envie de manger ou non.

Je vous écoute, ce que vous aimez m’intéresse, et je suis prêt à préparer ce que vous aimez. Je n’ai pas d'a priori sur ce que vous mangez". Il y a aussi d'autres manières de formuler la même question : "Est-ce que vous mangez de tout ?", "Y a-t-il des interdits dans votre religion?" "Etes-vous musulman pratiquant ou non?" Dans toutes ces phrases, on considère qu'un visage ou un nom peuvent automatiquement signifier un pays, une religion, une croyance ou un mode de vie. On ignore qu’il existe des chrétiens en Syrie, des Juifs en Iran, des Orthodoxes en Egypte, des musulmans en Chine et des non croyants et non pratiquants dans tous les pays et toutes les cultures.

Dans un dialogue, on a toujours une chose à dire et une autre à entendre. En revanche, dans l'acte d'écoute, avant tout, nous disposons de a nos oreilles et c’est bien de cela qu’il s’agit aux côtés des malades en phase terminale.

On suggérera dans un cas comme celui-ci le conseil suivant : essayer de faire venir auprès du malade quelqu'un de sa famille qui parle la même langue.

Et je terminerai avec ce poème magnifique d'un grand maître philosophe, mystique et ésotérique perse Moulana Roumi :

"Avoir le même cœur est mieux qu'avoir la même langue.

Il y a des Turcs et des Kurdes qui se comprennent et aussi il y a des turcs qui parlent la même langue mais ne se comprennent pas".