L’inconscient et le cœur

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La traduction d'article en allemand édité dans ANRISS,2016 suisse

 DEL allemand HM : 

Je me trouve face à un paradoxe : d'une part le lien entre le cœur et l'inconscient est tellement clair que j'ai le sentiment que tout le monde le sait intuitivement, d'autre part si tel est le cas, pourquoi personne n'en a-t-il jamais fait état ?
Alors, je vais en parler, même si S. Freud lui-même le dit à moitié (J. Lacan) "tout dire est impossible". Lui qui a lié la découverte de l'inconscient aux mots d'esprit, qui donne tant d'importance aux paroles des dictons et cherche les noms de ces notions dans la mythologie, il ne dit pas, il ne se pose pas cette question simple : "qu'est-ce que ce cœur dont on parle dans toutes les cultures du monde depuis des siècles ? dont on voit l'image percée par la flèche d'amour sur de nombreux arbres ?"
Dans Freud présenté par lui-même, S. Freud précise: "Pour l'inconscient, il n'y a pas un rattachement à l'anatomie du cerveau réel. On ne sait pas où il se trouve, le point de vue est utopique comme le cœur ".
"Qui écoute la voix de son cœur à la place des bruits du marché et a le courage de propager ce que lui enseigne son cœur, celui-là est toujours original". En se référant à cette phrase de Börne, S. Freud écrit "il pourrait être effectivement la source de mon originalité". Or l'originalité de S. Freud est l'invention de la psychanalyse et la découverte de la présence d'un lieu psychique spécifiquement référé à une sorte de "conscience inconsciente". Ceci voudrait dire qu'il y avait un lien entre le cœur (la voix de son cœur) et sa découverte de l'inconscient.
Le terme "inconscient" apparut dans le dictionnaire de l'Académie en 1878. La question centrale est de savoir si Freud donne à un terme déjà existant, "inconscient", un sens nouveau ou s'il découvre et systématise le fonctionnement d'un phénomène déjà connu, appelé "le cœur". "Le cœur", tel que différentes cultures en parlent, nous donne des éléments de réponse.
Je cite Joël Dor, qui écrit dans L'apport Freudien: "En avançant l'hypothèse d'un lieu psychique spécifiquement référé d'une sorte de "conscience inconsciente", Freud n'invente pas à proprement parler un concept. Il donne à un terme déjà existant un sens nouveau". Je suis d'un avis différent. En effet, Freud exploitera ce terme pour légitimer sur la base de ses investigations personnelles, soit l'observation de ce qui nous échappe, soit ce qui échappe ou défaille chez tout un chacun en brisant, d'une façon incompréhensible, la continuité logique de la pensée et des comportements de la vie quotidienne, (ce qui concerne bien "le cœur") : lapsus, actes manqués, rêves, oublis et plus généralement les symptômes compulsionnels de la névrose dont il découvre la signification paradoxale dans la clinique de l'hystérie.
Dans le même ouvrage, Joël Dor précise :
"Freud instaure de fait son hypothèse de l'inconscient, la dimension d'une psychologie des profondeurs d'une métapsychologie".
Bien sûr, avant S. Freud, le terme d'inconscient était déjà utilisé pour désigner globalement le non-conscient. De même aujourd'hui, en langage courant, on fait encore la même confusion : ce qui est inconscient signifie ce qui n'est pas conscient. On n'en parle pas avec le sens que lui a donné S. Freud. Peut-être ce terme était-il mal choisi ?
En effet, autour des deux concepts "Cœur" et "inconscient", nous trouvons presque partout les mêmes notions : désir, souvenirs, discours, amour, plaisir, poésie, sentiments …
Je ne ferai ici que l'interprétation ou le développement (ou une autre lecture) d'une découverte citée dans un article intitulé : " Freud et Börne" de Jean René Fourton paru dans le n° 2 de Littoral en 1981. Je cite:" S. Freud dans sa lettre à Ferenczi le 9/4/1919, dit : "Très jeune, peut être pour mon treizième anniversaire, je reçus en cadeau l'œuvre de Börne, la lu avec un grand enthousiasme et gardais en mémoire quelques-uns de ses petits essais, par le cryptomnésique naturellement. Lorsque je relus ce dernier texte, je fus étonné de voir qu'en plusieurs endroits il correspondait mot à mot à plusieurs choses que j'ai toujours pensées et soutenues. Il pourrait être effectivement la source de mon originalité".
Ceci témoigne bien du fonctionnement de l'inconscient, par la mémoire et les souvenirs oubliés. Sur le divan on découvre lorsqu'on a terminé son analyse "tout ce qu'on sait" et qu'on n'avait pas conscience de savoir. On fait l'expérience de l'inconscient : "on sait maintenant ce qu'on sait".
Lorsque Freud parle de la source de son originalité, je peux comprendre : de sa découverte, la découverte de l'inconscient. Qu'y avait-il donc dans ce livre que Freud a lu et qui l'a amené là ?
Je cite à nouveau Jean Fourton : " Dans un autre papier, la Note sur la préhistoire de la technique psychanalytique parue en 1920, Freud attribue à Börne un texte intitulé "L'art de devenir un écrivain original en trois jours", … rien de moins que sa (probable) inspiration de la méthode de libre association, c'est-à-dire du point à partir duquel, l'hypnose abandonnée, la psychanalyse fut inventée."
Si, comme Börne, on "laisse parler son cœur pendant 3 jours", les pensées vont se succéder sans entrave ni censure : le résultat en sera donc original. C'est la même méthode que celle des associations libres. On aura vraiment un aperçu fidèle et sincère de la personnalité.
Pour conclure cette introduction, je cite Börne dans son article L'art de devenir un écrivain original en trois jours : "L'homme naît dans un pays étranger, vivre signifie chercher le pays natal, et penser signifie vivre. Mais la patrie des pensées est le cœur : c'est à cette source que celui qui veut boire frais doit tirer : l'esprit n'est que le courant". N'oublions pas non plus que S. Freud définit l'inconscient comme un étranger qui est en nous. Pour Börne, la patrie des pensées est le cœur; ceci me fait penser à un proverbe africain : "Le cœur d'un homme, c'est tout un pays étranger". Tout ceci est donc bien lié.

A- PETIT VOYAGE DANS L'HISTOIRE

Faisons au préalable un détour par l’Inde où l'on trouve encore aujourd'hui 3 sortes de médecins : Les médecins de pensée, les sages et les médecins de parole: les chamans et les médecins du corps, qui s'occupent uniquement du corps physique.
Dans la tradition persane précédent l’invasion arabe, les perses avaient une religion fondée sur trois maximes : Une pensée pure, une parole pure, un acte pur.
Autrement dit, les actes, la parole et la pensée doivent être "vrais", cohérents et en harmonie.
Citons Freud, qui écrit en 1933 dans Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse : "La psychanalyse a inséré l'inconscient entre le physique et le psychique". On retrouve le cœur, le corps et la pensée (l'âme, le lieu de la parole, l'inconscient). On peut mettre en parallèle une analyse avec les méthodes médicales indiennes ou persanes : rendre cohérents et harmoniser les actes et les pensées.
J'ai noté aussi qu'au 18ème siècle, Mesmer avec la théorie du magnétisme animal avait fabriqué des aimants en forme de cœur à poser à l'emplacement de celui-ci, en vue de soigner l'hystérie et ses effets psychosomatiques. Là aussi, on pensait que "le cœur" (la pensée) et le physique étaient liés.
Allons maintenant en Chine où le cœur est le centre psychosomatique. Chauvelot écrit dans L'hystérie vous salue bien : "Dans la conception chinoise il n'y a ni sujet, ni organes, uniquement des fonctions, des fonctions qui sont des charges et, bien entendu, des charges administratives. S'il n'y a pas d'organe, comment fonctionne la vie ? Par le sang et le souffle. Le sang et l'énergie ne sont pas dissociables. L'exemple donné est celui du cheval et du cavalier : s'il y a dissociation, il y a maladie".
Les quelques phrases suivantes évoquent "le cœur" du point de vue des chinois et donnent l'impression que plus on remonte dans le temps, plus leur connaissance de l'inconscient était précise.
"Il y a 5 Zang. Pourquoi cinq ? En raison du même principe qui gouverne toute numérologie. Pour que ça tourne, il faut un axe qui, lui, ne bouge pas, il faut un noyau à la roue. Le nombre quatre représente les deux diamètres, les quatre rayons : ils ne peuvent tourner que grâce à un cinquième élément au centre.
L'axe autour duquel tout tourne dans l'empire est l'empereur. L'axe autour duquel tout tourne pour que la vie soit possible, c'est le cœur. Il a les mêmes prérogatives que l'empereur vis-à-vis de ses sujets". On pourra rapprocher cette citation d'un proverbe persan, qui dit que " Le cœur est le roi du corps".
Revenons à Chauvelot "Le cœur se dit Xin et son idéogramme dérive d'un dessin qui représente assez bien l'organe que nous connaissons. Il est aussi le seul dont l'idéogramme ne contienne pas le signe appelé "la clé de la chair" que l'on retrouve dans la désignation de tous les autres viscères. Sa charge est celle du seigneur et maître, du souverain. Il est le premier dans l'énumération, au-dessus des autres Zang, le plus haut et en retrait, comme le fils du ciel. Il est l'image de l'hôte avec ses invités : il reçoit, mais il a une place privilégiée. Il n'agit pas, image de la puissance du Tao, il est immobile mais c'est grâce à lui que tout fonctionne. Il rayonne comme le soleil et communique avec l'extérieur par ses "orifices" propres que sont l'œil, son messager, l'oreille, lieu de l'audition mais surtout de l'entendement, et la langue, dans son acception de parole, de verbe". Donc, du cœur est issu le verbe, la parole.
Reprenons la suite : "Lorsque le cœur "l'empereur" est atteint, il perd l'intelligence de tout ce qui se passe dans le corps humain. Si l'énergie est excessive, les symptômes sont : lourdeur dans la poitrine avec somnolence, fou rire, colères puis progressivement fièvre, douleurs précordiales, céphalées, nausées, l'évolution pouvant entraîner la mort. Si l'énergie est insuffisante, sa carence se manifeste par de la pâleur, de la tristesse, des palpitations et des douleurs irradiantes. Mais le plus grave message de la souffrance du cœur est psychique, ce sont les troubles du rayonnement : l'angoisse, dite solaire, les tendances suicidaires, la perte de connaissance. Il n'y a en effet plus de communication possible si les "orifices" du cœur sont fermés".
La vision chinoise du cœur est psychosomatique. Pour eux, il n'y a pas comme aujourd'hui un cœur métaphorique et un cœur physique : les deux sont liés, c'est le même organe. Tout le "jargon" psychanalytique est là, dans la manière dont les chinois voient leur cœur : le fonctionnement de l'inconscient, la névrose et la psychose.
Dans l'Egypte antique en revanche, le cœur était le siège de la pensée et de la raison. C'est paradoxal par rapport aux autres visions déjà rencontrées où interviennent les sentiments.
Comment est perçu le cœur en Islam ? Il est l'organe vital, il jouit d'une triple interprétation, organique, spirituelle et mystique. Ainsi, pour Malek (Dictionnaire des symboles musulmans)organiquement, "le cœur est perçu comme le noyau de toute vie animée. Il en est à la fois le symbole vivant et le moteur. Dans les phases de constitution de l'embryon humain, c'est en effet autour du cœur que les autres organes s'assemblent". Ceci me paraît avoir un lien avec ce qu'on nomme "l'image inconsciente du cœur". Même si dans la réalité les autres organes ne sont pas constitués autour du cœur, la croyance musulmane montre que des images ont existé dans notre "cœur", notre inconscient.
Spirituellement, "le cœur est considéré comme le siège de la conscience vigile de l'individu (le "sur-moi" de S. Freud qui nous surveille en permanence) et symbolise son intuition, sa force de conviction et sa croyance".
D'un point de vue mystique, sans doute au niveau le plus élevé de la spiritualité, le cœur structure une partie de l'hermétisme coranique et divin. Il est l'organe qui assure la présence divine dans un être donné, le Créateur étant appréhendé non par les yeux, mais bel et bien par le cœur ou, pour reprendre l'expression coranique, grâce au "aïn al-yagîn" ("L'œil vigilant et sensible", "les Yeux du cœur", par opposition et similarité à l'expression mystique du "bâtin al-qalb" : "le Dedans du cœur"). Le cœur tient donc une place privilégiée dans le Coran où il apparaît plus de 130 fois.
Plus tard, cette notion sera reprise par les mystiques et sa place sera prépondérante dans le corpus interprétatif des Soufis. Un hadith du Prophète compare le cœur à "une plume dans le désert que le vent tourne et retourne", un autre le définit comme "le plus haut ciel" et un troisième le sacralise en trône divin. C'est donc cette troisième acception qui va prévaloir dans la littérature : le Coran atteste que si le cœur du fidèle est "circoncis" de toutes ses mauvaises intentions, en revanche celui de l'infidèle est proprement "incirconcis". Il est intéressant de noter que, dans un des versets du Coran, pour les non-croyants, Allah dit qu'il "a mis un rideau sur leur cœur". Ceci montre bien que pour les musulmans, le cœur est le centre des liens avec l'au-delà et la spiritualité.

B -L'INCONSCIENT, LE CŒUR ET LEURS LIENS

Si l'on considère les éléments de S. Freud à travers la littérature, les dictons, les proverbes, la poésie et en considérant différentes cultures, on peut aller vers cette mine de renseignements sur la richesse de l'être humain comme vers un musée archéologique. C'est ce que je vais essayer de faire, mais c'est une "mine" très riche et cela risque d'être fastidieux.
Voyons tout d'abord la définition du cœur que donne le Petit Robert : "par métaphore, le siège des émotions et des sensations. Siège du désir, de l'humeur, de l'affectivité, des sentiments, des passions agitées (faire battre le cœur …)". Sensibilité, sentiments, attachements, passion, tendresse … on se trouve bien dans l'inconscient. L'inconscient dénote ainsi tout ce qui n'est pas conscient pour un sujet, tout ce qui échappe à sa conscience spontanée et réfléchie.
Institué par l'action du refoulement, l'inconscient est constitué par "(…) des représentations de la pulsion qui veulent décharger leur investissement, dont par des notions de désir. Ces notions pulsionnelles sont coordonnées les unes aux autres, persistent les unes à côté des autres sans s'influencer, réciproquement et ne se contredisent pas entre elles". (S.FREUD,L'inconscient en métapsychologie.
Au cours de ses réflexions successives, S. Freud nous avait implicitement amenés à l'idée que l'inconscient est loin d'obéir "au seul principe du plaisir" : "l'inconscient ne connaît ni le temps, la contradiction, ni l'exclusion conduite par la négation, ni l'alternative, ni le doute, ni l'incertitude, ni la différence des sexes. A la réalité extérieure, il substitue la réalité psychique. Il obéit à des règles propres qui méconnaissent les relations logiques conscientes de non-contradiction et de cause à effet".
Dans Cinq psychanalyses, S. Freud met en évidence la logique et le cœur : "le jeu de physionomie et l'expression des sentiments obéissent davantage aux forces de l'inconscient qu'à celles du conscient".
Il fait apparaître d'autres ressemblances entre "apprendre par cœur" et certains liens avec la mémoire (connaître par cœur) dans La naissance de la psychanalyse : "l'inconscient est un second enregistrement ou une seconde transcription, aménagée suivant les autres associations, peut-être suivant des rapports de moralité. Les traces de l'inconscient correspondraient peut-être à des souvenirs conceptionnels et seraient ainsi inaccessibles au conscient".
Un proverbe guatémaltèque dit : "les cœurs comme les voleurs ne rendent pas les choses oubliées". Ceci est à rapprocher de la notion de refoulement dont parle S. Freud dans L'interprétation des rêves : "le moi peut avoir des désirs inconscients : à l'opposition "conscient" et "inconscient" il faut substituer celle du "moi" et du "refoulé". Si le cœur ne rend pas les choses oubliées, c'est parce que l'inconscient n'est rien d'autre que les éléments refoulés, des souvenirs oubliés.
S. Freud reprend au sujet de l’"inconscient" : "un acte psychique passe en général par deux phases d'étapes, entre lesquelles sont intercalées une partie d'examen (censure). Dans la première phase, il est inconscient …. Si, lors de l'examen, il est écarté par la censure, le passage à la seconde phase lui est refusé, il est alors dit "refoulé".
Ce que dans la vie quotidienne, on appelle "ouvrir son cœur" ou "laisser parler son cœur" ou "la vérité sort de la bouche des enfants", n'est rien d'autre que la transparence de l'inconscient, si l'on se réfère à quelques citations de S. Freud : "l'inconscient de la vie psychique n'est autre chose que la phase infantile de cette vie" ; "dans l'inconscient il y a l'infantilité du refoulé" ; "la différence entre conscient et inconscient, n'est pas encore constituée dans la première période de l'enfance…" ; "il est aussi très difficile de déterminer certaines émotions conscientes ou inconscientes chez l'enfant".
L'expression "venir du cœur", être spontané et sincère, est liée avec l'état inconscient de l'enfance ("l'enfant au cœur pur").
Depuis la nuit des temps, le cœur métaphorique est le centre des sentiments, de l'amour. Son "ouverture" signifie franchise, épanchement, même dans la souffrance et le battement de cœur est signe d'émotion, ce que démontre S. Freud dans le registre de l'inconscient : "l'usage des expressions: affect inconscient et sentiment inconscient, renvoie en général aux destins du facteur quantitatif de la notion pulsionnelle par suite du refoulement" ; "la voie des pensées inconscientes qui mènent à la crise libératrice pourra se rouvrir dès qu'une quantité d'excitation suffisante sera amassée" ; "se contenter de dire que "le conscient est le facteur dominant et l'inconscient le facteur sensuel sous-jacent", c'est simplifier grossièrement les choses extrêmement complexes, alors qu'évidemment c'est là le fait fondamental".

C –EXEMPLES DE LIENS ENTRE LE CŒUR ET L'INCONSCIENT

Les relations entre la musique, l'amour, la poésie et le cœur sont connues. Leurs liens avec l'inconscient sont évidents (métonymie, métaphore, déplacement). Comme dans le rêve où l'inconscient se condense, on peut alors parvenir à une "ouverture de l'inconscient". A ce propos il est intéressant de mentionner la théorie de Charles Melment sur le bégaiement. Pour lui le bégaiement est une résistance de l'inconscient au moment où il risquerait de se dévoiler. Inconsciemment, le bégaiement serait une certaine mesure de défense. Il "casse la musique" des mots, des signifiants, et leur enchaînement harmonieux, au moment où cet enchaînement serait révélateur.
La poésie, la musique et leur harmonie sont une "ouverture" vers l'inconscient. Mais si celui-ci se "ferme", alors on butte sur un mot, une syllabe et la "musique" est cassée, la résistance se forme : on bégaie, l'inconscient est fermé.
Cette théorie est à rapprocher d'un "cœur qui se ferme". Si on veut "fermer" son cœur à tout sentiment, alors on n'écoute plus de musique, on ne lit plus de poésie, … Les hommes de guerre n'y sont apparemment pas très sensibles…
Peut-être aussi le bégaiement intervient-il quand on a peur ou qu'on est en train de mentir, quand on sait que vis-à-vis des autres, on se dissimule …
Nous avons fait le tour de la poésie, parole du cœur. Un proverbe persan dit : "Il vaut mieux avoir le même langage de cœur que parler la même langue". Prenons maintenant quelques citations pour illustrer ce lien entre la poésie, la musique et "le cœur" :
Romain Rolland : " (…) Des mélodies spontanées, qui parlent simplement au cœur". Comme les lapsus, spontanés eux aussi, des mots dits sans réfléchir. André Chénier : " Le malheur a percé mon vieux cœur. L'art ne fait que des vers, le cœur seul est poète".
Dans la cure analytique, à chaque fois que le rire intervient, il est lié à la jubilation et à l'élucidation: on a compris quelque chose.
Il y a un proverbe qui dit : "un cœur joyeux guérit comme une médecine, mais un esprit chagrin, ça dessèche les os". Quand l'inconscient s'ouvre et que l'on comprend, on est joyeux, on rit parce qu'on a élucidé quelque chose. L'ouverture du cœur conduit à la compréhension ou à l'élucidation. Dans la poésie persane, il y a en permanence une lutte profonde entre "moi" et le cœur.
Par exemple : "je souhaite avoir "le cœur libre de moi et de nous" ou bien "je pleure pour mon cœur et il se moque de moi". Il y a en permanence un dialogue entre moi et le cœur, comme s'il s'agissait de deux personnes différentes. Comme entre "l'étranger" (l'inconscient) et nous, la lutte et le dialogue sont perpétuels. L'inconscient quelquefois nous laisse agir, mais nous trahit parfois et ses choix sont différents des nôtres. A ce sujet S. Freud dit : "Le moi n'est plus maître dans sa propre maison". Cette lutte faiblit seulement lorsqu'on parvient en cours d'analyse, à connaître mieux son propre inconscient et que le comportement et les paroles peuvent être en harmonie.
Pour l'inconscient chaque organe a une image, à tel point que pendant des siècles et dans toutes les cultures, on a donné à notre cœur, par métaphore, un tas d'organes différents : l'œil du cœur, la tête du cœur, la bouche du cœur, un cœur sans pieds, un quartier de cœur, le carrefour du cœur, main et cœur ouverts, etc.
Dans un ouvrage qui parlait de Corbineau (un passionné d'Iran) on trouve cette formule : " (…) car pour Corbineau, la Perse bien–aimée est devenue une géographie du cœur". On parle ici des frontières du cœur comme on parle des frontières de l'inconscient. On met donc partout les mêmes notions en parallèle, que ce soit : dans la langue française (purifier vos cœurs, avoir du cœur au ventre, parler en votre cœur, un ami de cœur, …), dans un dicton suédois ("Home is where the heart is") ou dans un poème Russe ("Elle non plus n'entend, ni ne sent ton poème ; pour l'œil elle fleurit, pour le cœur elle est sourde"), partout, dans toutes les langues, tous les organes sont attribués au cœur. Il est dépositaire de toutes les images.
Le cœur est toujours opposé à la raison, le cœur et le raisonnement fonctionnant chacun de son côté. En ce qui concerne l'intelligence du cœur, je cite Graham Greene :
"Le cœur est une bête dont il est prudent de se méfier. L'intelligence en est une autre, mais elle, au moins, ne parle pas d'amour".
Tous les poèmes et chansons ont fait mieux que moi, le parallèle entre le cœur et l'amour. Citons simplement un poème persan : "Je n'ai pas vu de voix plus heureuse que celle du discours de l'amour".
On retrouve le même parallèle en ce qui concerne la parole : "Parler à cœur ouvert" ou dire la souffrance du cœur, sa pensée intime et secrète.
Il existe une très belle phrase de Fleury de Bellinyin : "Nos cœurs sont comme les archives d'où nos lèvres tirent tout ce qu'elles expriment", de même celle-ci : "De l'abondance du cœur, la bouche parle".
On voit bien ici la correspondance entre l'inconscient et le cœur, l'inconscient lui aussi étant la source des paroles, des signifiants. On la retrouve dans un proverbe chinois : "Les mots sont la voix du cœur", ou dans un proverbe persan : "Lorsque la parole sort du cœur, elle pénètre les cœurs".
Les relations entre le cœur et les sentiments, sont évidentes. La richesse et le nombre d'expressions qui les associent, prouvent à eux seuls leur étroite correspondance.
Dans la langue persane, j'ai dénombré à ce jour au moins 166 mots construits avec le signifiant del qui signifie "le cœur" non physique, mais la partie métaphorique du cœur. Ce ne sont pas des mots composés, ce signifiant fait partie d'eux et ce sont des mots très anciens. Ils concernent six thèmes : le courage, le désir et le plaisir, l'amour, l'amitié et la haine, l'état psychique : (tous les nombreux mots qui décrivent les différents états d'esprit sont formés avec del), le moi profond, intérieur et secret, le malheur.
Ce cœur métaphorique est donc omniprésent comme on l'a vu, on peut "parler" avec son cœur comme avec un interlocuteur, dans la poésie, des dictons ou des proverbes :
"Le cœur va où il trouve son plaisir" ;
"Le cœur est une mine, la pensée est la pierre précieuse et le Kalam (parole) est le bijoutier" ;
"Avoir le même cœur et dire en même temps la même chose" ;
"Si le cœur est pur, la langue est courageuse", on ne craint plus les lapsus ou les actes manqués.
Dans la littérature aussi la liste serait longue si l'on devait citer tous les titres de livres où le cœur intervient. Un exemple dans une publicité pour un ouvrage dont le titre est "La civilisation du cœur" avec comme sous-titre "l'émotion : une arme politique". Aux dires des critiques" on trouve peu de recoins de l'âme qui ne soient éclairés" … Ici apparaît encore une fois l'association cœur, émotion, âme.
Pourquoi ce "cœur" que l'on retrouve partout est-il lié au sang comme le cœur physique ? Est-il si difficile de trouver un lien entre le cœur, le sang et la mère ? Allons plus loin et considérons ce "cérémonial" pratiqué parfois par les adolescents : se faire une coupure aux mains et mélanger les sangs pour créer un "lien du sang". On dit aussi qu'il existe un lien du sang entre mère et enfant, frères et sœurs.
Ils sont alors très proches. Le cœur devient ici une métonymie du lien de sang. Cette alliance des liens du sang, cette alliance de l'amour, ne seraient-elles pas la base du cœur métaphorique ?
Le sang est lié à la vie, à la mort et ses liens se transmettent de génération en génération. De même, les liens du cœur peuvent se transmettre.
Pour illustrer les correspondances étroites entre l'inconscient et le cœur, je vais citer une anecdote rapportée par Moulavi, grand poète iranien du 15ème siècle. Ce poète avait un maître nommé Chames Tabrisi dont il ne nous reste qu’une centaine de pages éparses. Parmi celles-ci, ce conte écrit au 15ème siècle :
"Il existait un Derviche tourneur, un mystique. Un jour l'autorité interdit la danse. Le Derviche, ne pouvant plus tourner, contrarié dans son cœur, meurt. Le médecin, pour comprendre les raisons de sa mort, ouvre son corps. Il trouve à la place du cœur une pierre précieuse rouge. Le médecin vend la pierre pour sa valeur et, de vente en vente, elle se retrouve sur la bague du Roi. Des années après, le Roi, vieillissant et devenant plus sage, autorise à nouveau la danse et lui-même, devenu Derviche, se met à tourner. Il voit tout à coup du sang sur ses vêtements : c'est la pierre qui est redevenue sang."
Chames Tabrisi, parlant de la transformation du cœur en pierre, dit que c'est le résultat du désir refoulé du Derviche. L'inconscient bloque donc l'accès direct à la conscience des matériaux refoulés.

D - CONCLUSION

On ne peut pas décrire le fonctionnement du cœur métaphorique dans le contexte du cœur physique, car de même que pour l'inconscient, son rattachement anatomique est utopique.
Par contre, s'il existe des liens très forts unissant le rêve, les fantasmes et l'inconscient, il n'existe pas à notre connaissance dans la littérature de parallèle entre le cœur, les fantasmes et le rêve.
Malgré la richesse de toute cette connaissance sur l'être humain, nous découvrirons encore d'autres choses. Il faut donc rester modeste et surtout faire preuve de tolérance, pour tout ce que l'on sait et tout ce que l'on n'a pas encore compris.
Dans tout exposé ou raisonnement, il y a deux choses à ne jamais oublier : il existe des éléments qui ont déjà été inventés dans le passé, mais que l'on ne connaît pas, et il y a aussi des choses qui sont à inventer dans l'avenir et qu'on ne connaît pas non plus.
La vraie tolérance est là, dans la conscience de notre imperfection.